(Guatemala) L’éviction de plusieurs favoris à l’élection présidentielle au Guatemala sème le doute, à un mois du premier tour, sur l’impartialité des institutions, accusées de manœuvrer pour préserver un régime autoritaire et corrompu fondé sur la cooptation par les élites dirigeantes.

Le dernier écarté de la course est l’homme d’affaires Carlos Pineda (droite), dont la candidature a été « suspendue » par la justice et le Tribunal supérieur électoral (TSE) à la demande d’un parti concurrent qui a invoqué des irrégularités dans la procédure.

L’homme d’affaires de 51 ans, qui était le favori des sondages, a vu son recours rejeté vendredi comme « sans objet » par la Cour Constitutionnelle.  

« La corruption a gagné, Guatemala a perdu », a-t-il commenté sur son compte Twitter après l’arrêt de la Cour Constitutionnelle. Le candidat évincé s’est joint ensuite à des dizaines de ses partisans qui manifestaient devant le siège de la Cour.

Il était placé en tête dans le dernier sondage publié par le quotidien Prensa Libre avec 23,1 % des intentions de vote. Selon la même enquête d’opinion, il était suivi par la sociale-démocrate et ex-première dame de 67 ans Sandra Torres (19,5 %), l’ancien fonctionnaire de l’ONU Edmond Mulet, 72 ans (centre, 10,1 %), et Zury Rios, la fille d’un ancien dictateur âgée de 55 ans (droite conservatrice, 9,2 %).

Au total, 22 candidats restent en lice pour la présidentielle. Ce nombre, habituel au Guatemala, empêche virtuellement toute chance d’élection dès le premier tour, le 25 juin, puisque le vainqueur doit obtenir plus de la moitié des suffrages. Le second tour est programmé pour le 20 août.

Avant M. Pineda, le TSE avait déjà éliminé deux candidats sérieux : Thelma Cabrera (gauche, 52 ans), issue des peuples autochtones mayas qui constituent au moins 40 % de la population, et Roberto Arzu (droite, 53 ans), fils de l’ancien président Alvaro Arzu, au pouvoir de 1996 à 2000.

Les 9,3 millions d’électeurs guatémaltèques seront appelés à désigner, pour un mandat unique de quatre ans, le successeur du président de droite Alejandro Giammattei, âgé de 67 ans. Celui-ci, qui avait promis lors de son élection de « ne pas être un fils de pute de plus », quitte sa fonction avec 75 % d’opinions défavorables, selon un autre sondage publié par Prensa Libre.

« Pouvoirs occultes »

Pour les analystes et les personnalités évincées, il ne fait aucun doute que la « fraude » ne réside pas dans la manipulation des résultats du scrutin, mais consiste à imposer des candidats cooptés par les élites dirigeantes.

L’éviction de candidats par la justice met « en danger […] l’État de droit, la démocratie, les garanties et les libertés de toute la population », dénonce auprès de l’AFP Edie Cux, le directeur d’Action citoyenne, déclinaison locale de l’ONG anticorruption Transparency International.

« Il y a un schéma préconçu pour (désigner) les candidats, en écartant ceux qui sont gênants et en gardant ceux qui ont les faveurs du système », explique-t-il.

L’État utilise « la structure judiciaire » pour commettre une nouvelle forme de « fraude électorale » par l’exclusion de candidats, renchérit Jordan Rodas. Lui-même, qui se présentait à la vice-présidence de Mme Cabrera, a été écarté en raison d’accusations de corruption et tous ses recours en appel ont été rejetés.

Recul démocratique

Pour de nombreux analystes, le pays vit un recul démocratique depuis qu’il a été mis fin de manière anticipée en 2019 à la mission onusienne anticorruption CICIG, sur ordre du précédent président Jimmy Morales (2016-2020), qui était lui-même dans son collimateur.

La CICIG avait mis au jour de retentissantes affaires de corruption, menant même à la démission en 2015 du président Otto Pérez.

Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Giammattei plusieurs procureurs anticorruption qui avaient travaillé avec la mission onusienne ont été arrêtés, tandis que d’autres ont pris le chemin de l’exil.

Les poursuites ont été ordonnées par la procureure générale Consuelo Porras, une proche du président Giammattei, elle-même inscrite par Washington sur une liste de personnalités corrompues.

La « dictature d’un groupe (soudé) par des intérêts économiques, de corruption et même de crime organisé » impose ses vues, selon l’ancien rapporteur de l’ONU pour la liberté d’expression Frank La Rue. Il décrit une scène politique où « l’on voit le metteur-en-scène, le président, bouger ses pions. Mais ce que l’on ne voit pas c’est qui écrit le scénario et qui finance la pièce de théâtre ».

Malheur à celui qui tente de percer les secrets du pouvoir : José Ruben Zamora, le directeur-fondateur du journal El Periodico, qui a publié de nombreuses enquêtes sur des affaires de corruption, est accusé de blanchiment d’argent et de chantage. Emprisonné depuis le 29 juillet 2022, il encourt une peine de six à vingt ans de prison et son journal a été contraint à la fermeture.