Un ex-militaire de haut rang accusé d’avoir du sang sur les mains espère prendre la tête de la troisième démocratie en importance de la planète à l’issue du prochain scrutin présidentiel prévu en Indonésie.

La victoire possible de l’ancien général Prabowo Subianto, en tête des sondages, inquiète les organisations de défense des droits de la personne, même s’il reste encore plusieurs mois de campagne avant le vote, prévu en février 2024.

« Il faut mieux comprendre ce qu’il a fait dans le passé si on veut savoir ce qui peut arriver dans le futur », prévient Andreas Harsono, un recherchiste de Human Rights Watch établi dans le pays de 270 millions d’habitants.

M. Subianto, ex-gendre du dictateur Suharto, a notamment été mis en cause par les Nations unies dans un massacre survenu au Timor oriental dans les années 1980.

Il a aussi été impliqué à la fin des années 1990 dans l’enlèvement et la disparition de militants indonésiens avant d’être expulsé de l’armée, note M. Harsono, qui presse le candidat de faire toute la lumière sur ses actions passées.

Joshua Kurlantzick, chercheur rattaché au Council on Foreign Relations, prévenait dans une récente analyse que la victoire de l’ex-militaire pourrait représenter un « danger important » pour la démocratie indonésienne, puisqu’il a déjà indiqué qu’il souhaitait recentrer les pouvoirs dans les mains d’un cercle restreint de dirigeants à Jakarta.

Ses campagnes présidentielles précédentes, qui le présentaient comme un « quasi-Dieu » seul capable « de résoudre les problèmes », ont démontré ses penchants autoritaires et populistes, selon M. Kurlantzick, qui s’alarme aussi de ses associations passées avec des groupes islamistes n’hésitant pas à stigmatiser les minorités religieuses.

Un candidat « clivant »

L’ex-militaire a été battu à deux reprises, en 2014 et en 2019, par le président actuel, Joko Widodo, dit « Jokowi », qui ne peut se représenter lors de la prochaine élection.

PHOTO ACHMAD IBRAHIM, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de l’Indonésie, Joko Widodo

Ben Bland, spécialiste de la région rattaché à Chatham House, note que M. Widodo a voulu calmer les esprits après la dernière élection en confiant le poste de ministre de la Défense à son principal adversaire.

Cette nomination, souligne l’analyste, a permis au militaire de « se refaire une réputation », notamment à l’étranger, même s’il demeure un candidat « clivant » dans le pays.

Il est suivi dans les sondages par Ganjar Pranowo, un politicien d’origine modeste qui gouverne la province de Java central.

L’homme de 54 ans, qui bénéficierait du soutien « tacite » du président actuel selon certains analystes, semble en bonne position pour revoir l’investiture de sa formation, le Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P), la plus importante du pays.

Rien n’est cependant assuré à ce stade, prévient Thomas Pepinsky, un spécialiste du pays rattaché à l’Université Cornell.

« Je croirai que c’est lui lorsque je verrai son nom sur le bulletin de vote », note l’analyste, qui n’exclut pas la possibilité que la fille de la présidente du PDI-P, Megawati Sukarnoputri, hérite de la nomination.

Un cas de « patronage » aussi patent serait déplorable, mais ne peut être écarté, dit-il, tant la famille du premier président de l’Indonésie, Sukarno, qui était le père de la politicienne, exerce une emprise déterminante sur le parti.

Un « concours de popularité »

Un troisième candidat, Anies Basdewan, ex-gouverneur de Jakarta, risque aussi de peser dans la balance lors de l’élection présidentielle bien qu’il se retrouve pour l’heure loin dans les sondages.

Le politicien avait suscité la controverse en 2017 en s’associant à la campagne de groupes islamistes qui cherchaient à faire condamner son prédécesseur au poste de gouverneur, un chrétien, pour cause de blasphème.

Aucun des grands partis en lice ne présente d’orientations radicalement différentes en matière économique ou sociale, voire religieuse, ce qui fait du scrutin présidentiel une forme de « concours de popularité » dans lequel la personnalité des candidats pèse souvent plus que le contenu, note M. Bland.

Le président sortant, qui a fait du développement économique une priorité, conserve aujourd’hui une forte popularité qui reflète notamment son flair politique et son pragmatisme, souligne l’analyste.

Pragmatisme dérangeant

Ce même pragmatisme est vu comme un problème par des organisations comme Human Rights Watch, qui reprochent notamment au chef de l’État d’avoir cautionné l’adoption à la fin de l’année dernière d’un code criminel pénalisant sévèrement l’adultère et les relations sexuelles hors mariage.

Il aurait aussi détourné la tête pendant que des élus locaux multipliaient les actions à travers le pays pour restreindre les droits de minorités religieuses, imposant parfois le port du voile dans les écoles sans égard aux convictions personnelles des élèves.

M. Bland note que les tiraillements relativement à la place que l’islam doit occuper dans ce pays à forte majorité musulmane perdurent depuis des années sans prendre de proportion alarmante.

Le président Widodo, largement considéré comme un modéré, penche parfois du côté des groupes conservateurs et s’attaque ensuite aux éléments plus radicaux dans ses efforts pour trouver un équilibre « qui est souvent bien imparfait », dit-il.