(Dakar, Sénégal) Le Parlement de la Gambie a voté en faveur d’un projet de loi qui pourrait relégaliser l’excision – interdite depuis 2015 –, mettant en péril des millions de filles. Cela fait craindre que d’autres pays fassent de même.

Sur les 47 députés gambiens présents lundi, 42 ont appuyé un projet de loi en seconde lecture, renvoyant la décision à des comités avant le vote final. Des experts, avocats et militants des droits de la personne affirment que cette mesure effacerait des décennies de travail visant à mettre fin à l’excision, un rituel vieux de plusieurs siècles lié à des concepts de pureté sexuelle, d’obéissance et de contrôle.

Si le projet de loi est adopté en troisième lecture, la Gambie, petit pays d’Afrique de l’Ouest, deviendra le premier pays au monde à éliminer les protections contre l’excision.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les comités parlementaires pourront proposer des amendements avant le vote final, dans environ trois mois, mais les analystes estiment que le projet de loi a désormais franchi l’étape clé : ses partisans profitent d’une dynamique, il deviendra probablement une loi.

PHOTO MUHAMADOU BITTAYE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des manifestants pour l’excision réunis lundi matin à Banjul, au moment où les députés votaient sur la deuxième lecture d’un projet de loi qui abrogerait l’interdiction de l’excision.

La Gambie a interdit l’excision en 2015, mais n’a pas appliqué l’interdiction avant l’année dernière, lorsque trois exciseuses ont été condamnées à de lourdes amendes.

Imams favorables à l’excision

Un imam influent de ce pays à majorité musulmane a pris fait et cause pour la relégalisation de l’excision, qui, en Gambie, implique l’ablation du clitoris et des petites lèvres des filles âgées de 10 à 15 ans. Selon lui, elle est une obligation religieuse et elle est importante sur le plan culturel.

Une manifestation anti-excision a eu lieu devant le parlement à Banjul, capitale de la Gambie, lundi matin, mais la police a dressé des barricades et bloqué de nombreuses personnes, tout en laissant entrer les imams qui prônent l’excision et leurs partisans, selon Fatou Baldeh, l’une des principales opposantes à l’excision en Gambie. Une autre manifestation pour l’abrogation de la loi a également eu lieu lundi.

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Fatou Baldeh, survivante de mutilation génitale et militante anti-excision

Il était très triste d’assister à tout ce débat et de voir des hommes plaider pour l’excision.

Fatou Baldeh, survivante de mutilation génitale et militante anti-excision

Si les hommes qui mènent la charge – qu’elle qualifie d’extrémistes – réussissent, ils essaieront ensuite de faire tomber d’autres lois, comme celle qui interdit le mariage des enfants, a-t-elle dit.

Dans l’enceinte du parlement, certains élus – tous des hommes – se sont exprimés sur le projet de loi.

« Si des personnes sont arrêtées pour avoir pratiqué [des excisions], elles sont privées de leur droit de pratiquer leur religion », a déclaré le député Lamin Ceesay, cité par l’organisme Parliament Watch, qui promeut la transparence et la responsabilité parlementaires.

Protégeons nos femmes. Je suis père et je ne peux pas soutenir un tel projet de loi. La religion dit qu’il ne faut pas faire de mal aux femmes.

Le député Gibbi Mballow, en faveur de la loi contre les mutilations génitales féminines

L’excision prend différentes formes et est plus courante en Afrique, bien qu’elle soit aussi répandue par endroits en Asie et au Moyen-Orient. Reconnue internationalement comme une grave violation des droits de la personne, elle a souvent de graves conséquences – infections, hémorragies, douleurs intenses, etc. – et constitue une des principales causes de décès dans les pays où elle est pratiquée.

En nombre absolu, les mutilations génitales augmentent malgré les campagnes visant à y mettre fin, surtout en raison de la croissance démographique dans les pays où elles sont courantes. Selon l’UNICEF, plus de 230 millions de femmes et de filles les ont subies dans leur vie, soit 30 millions de plus qu’à la dernière estimation de l’agence, en 2016.

Les femmes « n’ont pas droit de cité »

Quatre députés ont voté contre le projet de loi et un s’est abstenu lundi. Seuls 5 des 58 législateurs gambiens sont des femmes ; ce sont donc des hommes qui mènent le débat sur une pratique imposée aux jeunes filles.

« Elles n’ont pas droit de cité », a déclaré Emmanuel Joof, président de la Commission nationale des droits de l’homme de Gambie.

L’abrogation de l’interdiction aura « des conséquences graves et potentiellement mortelles pour la santé et le bien-être des femmes et des filles de Gambie », a déclaré Geeta Rao Gupta, ambassadrice itinérante des États-Unis chargée des questions relatives aux femmes dans le monde.

De 1994 à 2016, la Gambie a été menée par un des dirigeants les plus notoirement autocratiques de la région, Yahya Jammeh, qui, selon une commission d’enquête en 2021, a fait torturer et tuer des citoyens par des escouades de la mort, a violé des femmes et a jeté de nombreuses personnes en prison sans raison.

PHOTO JÉRÔME DELAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Yahya Jammeh, président de la Gambie de 1994 à 2016

Il a qualifié d’« ennemis de l’islam » ceux qui luttaient pour mettre fin aux mutilations génitales féminines.

De nombreux opposants gambiens à l’excision ont donc été surpris en 2015 quand Jammeh a interdit cette pratique. De nombreux observateurs ont attribué cette volte-face à l’influence de sa femme marocaine.

Imams prônant un État théocratique

À l’époque, la loi contre les mutilations génitales féminines a été saluée comme un tournant en Gambie, où les trois quarts des femmes et des filles sont excisées. Mais la loi n’a pas été appliquée, ce qui a enhardi les imams favorables à l’excision – qui sont « bien décidés à créer un État théocratique » – à tenter de l’abroger, selon M. Joof.

Il y a désaccord, dans le monde musulman, sur le caractère islamique ou non de l’excision, mais elle ne figure pas dans le Coran. Le plus virulent des imams gambiens, Abdoulie Fatty, a affirmé que « la circoncision rend plus propre » et que les maris des femmes qui n’ont pas été excisées souffrent, étant incapables de satisfaire l’appétit sexuel de leurs épouses. De nombreux Gambiens ont accusé Fatty d’être un hypocrite, soulignant que lorsque Jammeh a interdit l’excision, il était l’imam présidentiel, mais n’a apparemment rien dit.

Lors de la première lecture du projet de loi, il y a deux semaines, Fatty a fait venir par autobus un groupe de jeunes femmes qui ont scandé des slogans favorables à l’excision devant le parlement. Le visage voilé – ce qui est inhabituel en Gambie –, elles ont scandé des slogans et chanté et brandi des affiches roses sur lesquelles on pouvait lire : « L’excision fait partie de nos croyances religieuses. »

Lisez la version originale sur le site du New York Times (en anglais, abonnement requis).