La guerre au Nord-Kivu s’invite sur les terrains de soccer. L’attaquant congolais Héritier Luvumbu en a fait les frais, à la suite de son geste commis dans un match au Rwanda.

Pourquoi on en parle

Le 11 février, Héritier Luvumbu a mis son petit grain de sel dans le conflit au Nord-Kivu. Le joueur congolais, qui évoluait alors avec un club rwandais, a célébré son but en mettant une main devant sa bouche et deux doigts pointés sur sa tempe comme un revolver. Ce geste fort, commis lors d’un match à Kigali (capitale du Rwanda), lui a valu d’être suspendu six mois par la fédération rwandaise de football, puis congédié par son équipe, le Rayon-Sport. Menacé de mort, il a dû être exfiltré vers la République démocratique du Congo (RDC), où il a été accueilli en héros par le ministre des Sports.

Pas le premier

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X @FOOTMERCATO

Des joueurs de l’équipe nationale du Congo avant son match de demi-finale en Coupe africaine

Le geste d’Héritier Luvumbu visait à dénoncer la guerre et les atrocités qui se déroulent dans l’est de la RDC. Il n’est ni le premier ni le seul qui s’est exprimé de la sorte. Quelques jours plus tôt, en Côte d’Ivoire, toute l’équipe nationale du Congo avait reproduit le même geste pendant l’hymne national, avant son match de demi-finale en Coupe africaine. La superstar Romelu Lukaku, Belge d’origine congolaise, l’a fait à son tour la semaine dernière, lors d’un match de la Ligue Europa entre Rome et Rotterdam. « RDC Congo Libre. Stop au génocide », a ensuite déclaré Lukaku sur son compte Instagram. Y en aura-t-il d’autres ?

Une guerre sans fin

PHOTO ARLETTE BASHIZI, ARCHIVES REUTERS

Un soldat congolais, dans la région du Nord-Kivu, le 20 février

Excroissance du génocide de 1994 au Rwanda, le conflit dans l’est du Congo aurait fait plus de 6 millions de morts en 30 ans. Quelque 120 groupes armés s’affrontent dans la région du Nord-Kivu, épicentre de cette guerre sans fin, pour des motivations à la fois ethniques, politiques et économiques. Mais les deux adversaires principaux sont l’armée congolaise et les rebelles du M23, qui sont commandités et financés par le Rwanda. Le fait que cette région soit riche en ressources minières ne fait sans doute rien pour faciliter les choses. La région posséderait notamment entre 60 et 80 % des réserves mondiales de coltan, un métal stratégique utilisé pour les composants électroniques. Une source de revenus considérable, qui attire bien des convoitises.

Des combats qui s’intensifient

Cette guerre, dite de « basse intensité », est peu couverte par les médias. Mais elle a refait surface dans l’actualité en février, lorsque les combats se sont intensifiés autour des villes de Sake et de Goma, entraînant la fuite de milliers de personnes, qui s’ajoutent au million de déplacés depuis le début du conflit. La « basse intensité » a par ailleurs monté d’un cran récemment, avec l’utilisation de drones armés par l’armée congolaise et de missiles sol-air par le M23. Cette semaine, l’ONU a évoqué une « situation profondément inquiétante » et brandi la menace « d’une extension du conflit à l’échelle régionale » si les efforts diplomatiques en cours devaient échouer.

Pas bon pour l’image

PHOTO AMANUEL SILESHI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Paul Kagame, président du Rwanda

Dans ce contexte tendu, tout est susceptible d’enflammer les tensions. Et c’est pourquoi le geste d’Héritier Luvumbu a froissé le gouvernement rwandais. « Il a dit : il y a un massacre et vous êtes responsables, résume Jean-Baptiste Guégan, politologue du sport et auteur du livre La république du foot. Ça fait parler, parce que le message a été livré par un Congolais sur le sol rwandais. » Selon l’expert, le dossier Luvumbu est aussi néfaste pour l’image du Rwanda, qui se présente comme l’un des territoires les plus accueillants d’Afrique subsaharienne. « D’emblée, de leur dire chez eux, vous êtes responsables de plusieurs dizaines de milliers de morts, c’est votre image internationale qui en prend un coup. Et la réaction du Rwanda montre que Paul Kagame [président depuis 2000] ne supporte pas la contradiction, qu’on est devant un État extrêmement autoritaire où toute opposition est réprimée. »

Et le Royaume-Uni dans tout ça ?

PHOTO PHIL NOBLE, ARCHIVES REUTERS

Le premier ministre britannique Rishi Sunak

Il y a en effet un angle britannique à cette histoire. Car l’épisode Luvumbu survient au moment où la Chambre des lords doit examiner le projet de loi anti-immigration du gouvernement de Rishi Sunak, qui vise à expulser les demandeurs d’asile au Royaume-Uni vers le… Rwanda, dans l’attente du traitement de leur dossier soit traité. Ce plan a été largement critiqué par l’Église et les organisations humanitaires. Le premier ministre conservateur soutient dans son argumentaire que le Rwanda est un pays sécuritaire qui respecte les droits de la personne. On devine que les « lords » analyseront ce dossier très controversé en ayant en tête le cas d’Héritier Luvumbu.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’HÉRITIER LUVUMBU

Héritier Luvumbu Nzinga

Nom

Héritier Luvumbu Nzinga

Âge

22 ans

Fonction

Joueur de soccer

Mots clés

Politique, sport, RDC, Rwanda, Nord-Kivu, Royaume-Uni