Depuis près de deux semaines, le Niger est sous le contrôle d’une junte militaire, qui a refusé d’obtempérer à l’ultimatum de rendre le pouvoir au président renversé, dimanche. Survol avec trois experts d’un coup d’État qui reflète les nombreuses insatisfactions vécues dans la région de l’Afrique de l’Ouest au cours des dernières décennies.

Que se passe-t-il, au juste ?

Dimanche soir, le Niger a annoncé la fermeture de son espace aérien « face à la menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins », ont annoncé les leaders de la junte militaire. Cette décision constitue une réponse directe à un ultimatum imposé par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui intimait à la junte de redonner le pouvoir au président renversé, Mohamed Bazoum, avant la fin de la journée, sous peine d’usage de la force. Dans cette optique, le Canada a suspendu toute forme d’aide financière en direction du Niger, dimanche matin.

Quel a été l’élément déclencheur de cette situation ?

Le 26 juillet, un groupe putschiste a pris le pouvoir de force, suspendu la Constitution et imposé un couvre-feu. C’est le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle, qui a incité d’autres militaires haut placés à se joindre à lui pour renverser le président Bazoum, élu en 2021. Tiani s’est autoproclamé chef de l’État dans un message diffusé à la télévision, critiquant le manque de sécurité dans le pays, au nom d’un groupe appelé Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). « Ce n’est pas confirmé, mais les rumeurs voulaient qu’il allait perdre son emploi », soutient Bruno Charbonneau, professeur titulaire au Collège militaire royal de Saint-Jean.

Qu’en pensent les observateurs ?

« Les tensions sont hautes et l’incertitude est grande », estime Bruno Charbonneau, également directeur du Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « C’est un recul sur le plan des institutions et des principes de gouvernance démocratique », affirme-t-il, soulignant qu’il ne connaît personne qui s’attendait à un coup d’État nigérien durant l’été.

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Des membres de la junte militaire à leur arrivée à un stade de Niamey, dimanche, à l’occasion d’un rassemblement partisan

Il pense que le geste a été « improvisé » par le général Tiani, un homme de confiance de l’ancien président Mahamadou Issoufou qui devait craindre pour son poste alors que Bazoum remplace progressivement les hommes de son prédécesseur. « Le sujet est brûlant et inquiétant. On va vers un risque de confrontation et de guerre », ajoute Patrick Dramé, spécialiste de l’Afrique et professeur titulaire au département d’histoire de l’Université de Sherbrooke.

De quel côté se range la population locale ?

« La junte obtient le soutien inattendu d’une partie importante de la population, explique Patrick Dramé. Ce que ça nous dit : le régime de Bazoum n’a pas répondu aux aspirations économiques des Nigériens, qui ont l’un des pays les plus pauvres du monde. » Selon lui, la junte trouve ses fidèles grâce à un discours populiste « revendiquant un souverainisme économique » et qui rejette l’influence politique de la France, qui avait colonisé le pays au XXsiècle.

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Des partisans de la junte militaire à l’extérieur d’un stade de Niamey où s’est tenu dimanche un rassemblement

De plus, le CNSP gagne du capital sympathie puisqu’il a réussi son coup d’État « sans effusion de sang », sans violence draconienne. Dimanche, environ 30 000 partisans du coup d’État se sont d’ailleurs réunis dans un stade de la capitale, Niamey, à quelques heures seulement de la fin de l’ultimatum de la CEDEAO.

À quoi ressemble la situation politique de cette région ?

La région est « très déstabilisée » depuis le coup d’État au Mali en 2012, insiste Bruno Charbonneau. « Une décennie d’interventions internationales n’a pas amélioré la situation », déplore-t-il. L’Afrique de l’Ouest a également vu le Burkina Faso, envahi d’un sentiment anti-France, être déchiré par un conflit interne. Le Niger, voisin enclavé à l’est de ces deux pays, possède lui aussi un important historique de tensions. La passation des pouvoirs entre Issoufou et Bazoum était la première à s’être faite pacifiquement depuis l’indépendance en 1960, et la gouvernance « démocratique » du second demeurait assez autoritaire.

Donc, les racines du problème sont profondes ?

« Malgré les efforts pour “stabiliser” ces régions, les causes profondes, dont les origines structurelles de la pauvreté et de la marginalisation d’une portion grandissante de la population, notamment de la jeunesse, pour qui les emplois et les possibilités d’avenir manquent cruellement, sont trop rarement abordées », fait valoir Bonnie Campbell, professeure émérite au département de science politique à l’UQAM. Elle pointe le « complexe de supériorité » de l’Occident, qui croit savoir quoi faire pour le bien du continent africain.

« Après 60 ans d’indépendance, les stratégies imposées de l’extérieur se révèlent un échec. » Le modèle de croissance extravertie, qui favorise très souvent les intérêts externes et de puissants intérêts internes, « met trop peu d’accent sur des stratégies de redistribution en mesure de bâtir une cohésion interne intergénérationnelle ». Depuis des années, ces processus sont « propices à renforcer la coupure entre les dirigeants et la population et à contribuer au mécontentement grandissant ». Mme Campbell juge donc urgent de se pencher sur les origines de ce mécontentement.

À quoi peut-on désormais s’attendre ?

À moyen et à long terme, les conséquences seront de taille pour les populations marginales du Niger, pour deux raisons : réduction des budgets d’aide internationale et progression de la déstabilisation sociopolitique. « Je serais surpris s’il y avait une intervention externe, mais il ne faut pas exclure cette possibilité », précise Bruno Charbonneau. « Il y a un embrasement général qu’il faudra éviter. Je pense qu’il faudrait discuter avec le régime militaire plutôt que de lui mettre un couteau sous la gorge », insiste Patrick Dramé, qui aurait voulu voir un pays occidental se positionner comme médiateur plutôt que de « brandir le gros bâton » contre la junte.

Avec l’Agence France-Presse