(Khartoum) Le général Abdel Fattah al-Burhane est en guerre depuis six semaines contre son ancien adjoint le général Mohamed Hamdane Daglo au Soudan, mais un deuxième front s’est ouvert contre lui : celui des islamistes décidés à en finir avec un officier qu’ils jugent trop conciliant avec l’ennemi.

Sous la dictature du général Omar el-Béchir, arrivé au pouvoir par un putsch en 1989, les islamistes avaient la haute main. Ils ont développé un immense réseau financier, commercial et politique.

En 67 ans d’indépendance, le Soudan a passé plus de 55 années sous la coupe des généraux, rappelle le Rift Valley Institute. « La politique soudanaise est donc intrinsèquement militarisée et l’armée est une institution politisée », poursuit le centre de recherche.

En 2019, quand l’armée a été forcée de démettre Béchir sous la pression de la rue, les islamistes ont dû se résoudre à faire profil bas. Le parti du Congrès national de Béchir a été interdit et plusieurs responsables de l’ex-dictature ont été mis en prison.

Et l’armée, soucieuse d’apaiser la rue et la communauté internationale, a choisi « un officier inconnu » – le général Burhane – pour prendre de fait la tête du pays, assure le chercheur Alex de Waal.

« Garantir leur place »

Le général Burhane s’est alors mis à multiplier les déclarations hostiles contre les islamistes et anciens hauts responsables du régime de Béchir, notamment contre le Congrès national.

Mais si Burhane donnait des gages à la communauté internationale en prenant ses distances avec l’ancien régime, les islamistes se sont rappelés à lui lorsque la guerre a éclaté le 15 avril : le Congrès national a sorti un communiqué pour dire son soutien à l’armée, qu’il dirige.

Les islamistes « exploitent les circonstances exceptionnelles pour garantir leur place sur la future scène politique », explique à l’AFP Othmane al-Mirghani, patron du quotidien indépendant al-Tayar.

Leur retour en force a été mis en lumière par un coup d’éclat : la lettre envoyée vendredi par le général Burhane au patron de l’ONU Antonio Guterres pour demander le remplacement de son émissaire au Soudan, Volker Perthes.

Le diplomate serait, accuse Burhane, « une partie et non plus un médiateur » au Soudan. Il a, par « ses mensonges » dûment « encouragé » le général Daglo à « lancer ses opérations militaires ».

M. Perthes était la bête noire des islamistes qui manifestaient depuis des mois aux cris de « Volker, dégage ».

Même s’il a satisfait une demande des islamistes, Burhane ne reste « qu’un pion sur l’échiquier politique soudanais », prévient M. Mirghani.

L’homme qui ne s’est jamais illustré comme un orateur de talent « a plusieurs handicaps », note Alex de Waal.

« Contrairement à Daglo et Béchir avant lui, il n’a pas de ressources financières propres pour arranger des accords politiques », affirme ce spécialiste du Soudan.

C’est pour cela qu’« il a toujours été forcé de marchander avec les militaires entrepreneurs et les sbires de la vieille garde pour toutes les décisions importantes. »

« Mission terminée »

Ainsi, « il a dû céder aux pressions des islamistes, encore puissants dans l’appareil sécuritaire », abonde Amir Babiker, rédacteur en chef du site Mouwatinoun, qui suit l’actualité de la Corne de l’Afrique.

Pour les satisfaire, il a donc mené un putsch le 25 octobre 2021, quelques jours avant la date théorique de la remise complète du pouvoir aux civils.

Ce coup d’État a aussi permis de geler la commission chargée de démanteler les réseaux – notamment économiques – construits sous Béchir.

« Si Burhane a essayé d’écarter certains islamistes, il a dû accepter qu’un certain nombre » subsiste, rapporte un fin connaisseur de l’armée soudanaise qui préfère s’exprimer sous le couvert de l’anonymat.

Aujourd’hui, il se retrouve seul face à eux. Ils l’accusent d’être trop conciliant avec le général Daglo et rappellent inlassablement que Burhane a combattu au Darfour dans les années 2000 en bonne entente avec leur nouvel ennemi, qui était alors milicien à la solde de Béchir.

Les télévisions des islamistes et des pro-Béchir – toutes basées à l’étranger – accusent désormais en boucle le général Burhane d’avoir été le marchepied des paramilitaires et de Daglo, mais aussi de leur avoir offert armes et financements sur un plateau.

« C’est un militaire : sa mission se termine avec chaque campagne », assure M. Mirghani. « Et il pourrait en être de même avec cette guerre ».