(Kampala) L’écrivain ougandais Kakwenza Rukirabashaija, dont le procès pour insulte au président Yoweri Museveni et à son fils est prévu en mars, a fui l’Ouganda où il s’estime menacé, et s’en est pris vertement à la justice de son pays.

« Il a quitté l’Ouganda », a déclaré à l’AFP Eron Kiiza à propos de M. Rukirabashaija, 33 ans. « Il m’a dit qu’il était au Rwanda », puis allait « en Europe », a-t-il ajouté, évoquant notamment l’Allemagne.

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Kakwenza Rukirabashaija, qui affirme avoir été torturé durant des semaines, durant sa détention, avait tenté en vain de récupérer son passeport confisqué le 1er février 2002. Durant l’audience (ci-haut), il a plaidé qu’il devait se faire soigner à l’étranger. Le tribunal a rejeté sa demande. L’écrivain a fui le pays, affirme maintenant son avocat.

À l’étranger, M. Rukirabashaija souhaite faire soigner les blessures infligées lors de sa détention récente, au cours de laquelle il dit avoir été torturé, selon son avocat. « Il craint d’être empoisonné », notamment après avoir reçu « des injections de substances inconnues pendant sa détention ».

Arrêté le 28 décembre, Kakwenza Rukirabashaija a été inculpé le 11 janvier de « communication offensante » envers Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, et envers le général Kainerugaba, dans une série de publications sur Twitter.

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L’écrivain Kakwenza Rukirabashaija montre les cicatrices sur sa jambe, qui, dit-il, lui ont été infligées durant des séances de torture répétées durant les semaines où il a été détenu par la police après avoir critiqué le président et son fils. Avant son arrestation, il avait reçu en 2021 le Prix PEN Pinter, attribué chaque année à un auteur persécuté pour avoir exprimé ses convictions.

Il y avait notamment qualifié d’« obèse » et de « rouspéteur » de dernier, que beaucoup voient comme le successeur de son père, âgé de 77 ans.

« Je ne sais pas qui est ce jeune homme dont on dit qu’il a été battu ! Je n’avais jamais entendu parler de lui avant que les médias ne commencent à le faire » a réagi le général sur Twitter après l’annonce du départ de l’écrivain.

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L’écrivain ougandais Kakwenza Rukirabashaija avait décrit le fils du président, Muhoozi Kainerugaba (ci-haut) d’« obèse » et de « rouspéteur » dans une série de Tweets.

Il a ajouté qu’il venait de parler au président rwandais Paul Kagame et que ce dernier lui avait dit que l’écrivain n’était « pas au Rwanda ».

L’écrivain avait été libéré sous caution le 26 janvier, selon son avocat, après avoir été maintenu en détention en dépit d’une décision de justice ordonnant sa remise en liberté.

Lisez notre article sur le maintien en prison de l’écrivain Rukirabashaija malgré un ordre de cour.

Lundi, un haut magistrat ougandais, Douglas Siniza, a annoncé qu’il serait jugé à partir du 23 mars et a refusé d’assouplir les conditions posées à sa remise en liberté, dont l’interdiction de parler à la presse.

« Je ne capitulerai pas »

Dans un message posté mercredi sur Facebook, l’écrivain s’est adressé au magistrat en le qualifiant de « tête de cochon à lunettes ». « Vous êtes une honte ! » et « je ne me présenterai plus devant vous, cher lèche-cul de Museveni et Muhoozi ».

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L’écrivain Kakwenza Rukirabashaija montre son bras, marqué par de longues cicatrices à la suite des tortures infligées par ses bourreaux en prison. L’Union européenne et les États-Unis ont dénoncé lundi l’usage de la torture par les forces de sécurité ougandaises.

« Vous permettez l’anarchie. Vous aviez le pouvoir de respecter mes droits et me libérer, plutôt que de minimiser mes requêtes contre la torture. Ces escrocs ont clairement fait de moi un paria dans mon propre pays », mais « je ne capitulerai pas », a-t-il ajouté.

M. Rukirabashaija était apparu samedi dernier dans un entretien diffusé par la télévision NTV Uganda qui avait montré son dos barré de marques apparemment douloureuses, et des cicatrices sur d’autres parties de son corps. « Ils m’ont roué de coups avec des matraques, partout », y déclarait-il.

Il a ajouté avoir été contraint de danser des jours durant aux côtés d’autres prisonniers, ou avoir subi l’injection de force et à plusieurs reprises d’une substance inconnue. Il a également décrit l’usage de pinces pour lui arracher des bouts de chair « sur [ses] cuisses, partout ». Avant lui, d’autres dissidents ougandais avaient eux aussi raconté avoir été torturés avec ce genre d’outils.  

Ces dernières années ont été marquées en Ouganda par des actes de répression contre des journalistes, des incarcérations d’avocats ou encore par le musellement de dirigeants de l’opposition.

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M. Rukirabashaija a publié en 2020 The Greedy Barbarian (non traduit en français), roman satirique salué par la critique qui décrit un pays imaginaire gangréné par la corruption. Il a reçu en 2021 le Prix PEN Pinter, attribué chaque année à un auteur persécuté pour avoir exprimé ses convictions.

Lundi, l’Union européenne a appelé à une « enquête complète » sur les violations des droits de l’Homme dans le pays, s’inquiétant de « la hausse importante des informations sur des cas de torture, d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, de harcèlement et d’attaques contre des défenseurs des droits de l’Homme, des membres de l’opposition » ou des militants écologistes depuis plus d’un an.

M. Rukirabashaija a publié en 2020 The Greedy Barbarian (non traduit en français), roman satirique salué par la critique qui décrit un pays imaginaire gangréné par la corruption. Il a reçu en 2021 le Prix PEN Pinter, attribué chaque année à un auteur persécuté pour avoir exprimé ses convictions.

Arrêté à plusieurs reprises depuis la publication de The Greedy Barbarian, M. Rukirabashaija a affirmé avoir été torturé lors d’interrogatoires au sujet de son ouvrage.

Il a décrit cette période d’incarcération dans son plus récent livre Banana Republic : Where Writing is Treasonous (« République bananière : où écrire vaut trahison », non traduit en français).