Les conclusions d’un groupe de médias internationaux et d’ONG qui accuse l’ex-président de la République démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila et son entourage d’avoir détourné plus de 100 millions de dollars de fonds publics de 2013 à 2018 placent le gouvernement du pays sous pression.

L’enquête, baptisée Congo Hold-up, suscite beaucoup d’attention dans le pays africain, l’un des plus riches de la planète en ressources naturelles, mais où les trois quarts de la population vit dans la pauvreté extrême.

Elle constitue du même coup un test pour le successeur de M. Kabila, Félix Tshisekedi, qui affirme, depuis son arrivée en poste en 2019, vouloir faire de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités.

« Tout le monde ne parle que de ça ici […]. Les gens espèrent que ça va aboutir à quelque chose », a commenté vendredi par téléphone de Kinshasa Jean-Claude Mputu, du collectif Le Congo n’est pas à vendre.

L’Agence France-Presse a indiqué mercredi qu’une « information judiciaire » avait été ouverte en réponse à la demande du ministère de la Justice après que le gouvernement eut fait savoir lundi qu’il ne « pouvait rester insensible » aux allégations.

« Nous espérons que ce ne sont pas que des déclarations et qu’il y aura des actions concrètes », souligne M. Mputu, qui s’inquiète notamment de l’incidence d’une loi votée peu avant le départ du pouvoir de l’ex-président, en 2018, lui conférant une immunité élargie.

« Kleptocratie »

L’enquête Congo Hold-up – décrite comme une forme de « Kabilabashing » par un porte-parole de l’ex-président – repose sur une importante fuite de documents bancaires confidentiels obtenus par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et le média d’enquête français Mediapart.

Le directeur de la PPLAAF, Henri Thulliez, relève que les documents en question constituent en quelque sorte un « manuel d’instruction parfait sur la façon dont fonctionne une kleptocratie ».

On voit qu’un chef d’État et son entourage peuvent vraiment capturer tout le système financier et commercial d’un pays où le système de droit est défaillant.

Henri Thulliez, directeur de la PPLAAF

La nouvelle enquête attire notamment l’attention sur le rôle d’une filiale locale de la Banque gabonaise et française internationale (BGFI) chapeautée pendant plusieurs années par le frère adoptif de Joseph Kabila et celui d’une société baptisée Sud Oil, qui était contrôlée par ce même frère et une sœur de l’ex-président.

Le consortium de médias et d’ONG a conclu que Sud Oil était en fait une société écran ayant servi à détourner des fonds de plusieurs institutions publiques congolaises, dont plus de 60 millions de la Banque centrale du Congo ainsi que 25 millions d’une société d’État minière.

Des irrégularités signalées dès 2016

Un lanceur d’alerte, Jean-Jacques Lumumba, avait attiré l’attention sur des irrégularités survenant au sein de la filiale de la BGFI en 2016. Après avoir fui le pays, il avait remis ses dossiers au quotidien belge Le Soir, qui avait ensuite remis en question dans ses pages le transfert d’une somme de plusieurs dizaines de millions de dollars provenant de la banque centrale congolaise à une firme d’importation de nourriture contrôlée par plusieurs proches de l’ex-président Kabila.

La même année, l’agence de presse Reuters avait publié une enquête montrant que le président et sa famille avaient constitué un réseau d’entreprises s’étendant « dans tous les secteurs de l’économie congolaise » leur ayant rapporté des « centaines de millions de dollars ».

Elle soulignait notamment que l’ex-président, sa femme, ses enfants et huit de ses frères et sœurs contrôlaient plus de 120 permis d’extraction d’or, de diamants, de cuivre, de cobalt et d’autres minerais.

M. Mputu note que ces révélations avaient fait grand bruit à l’étranger, mais n’avaient guère été discutées publiquement en RDC, puisque Joseph Kabila, qui a été en poste de 2001 à 2019, menait le pays d’une main de fer et paraissait « intouchable ».

Bien qu’il ne soit plus au pouvoir, l’ex-président demeure influent sur le plan politique et compte nombre d’appuis dans les institutions gouvernementales susceptibles, selon le militant Jean-Claude Mputu, de vouloir influencer les suites de l’enquête.

« Il y a un principe de réalité à prendre en compte », convient M. Thulliez, qui dit espérer que les autorités pourront malgré tout « faire leur travail une bonne fois pour toutes » et sanctionner les personnes responsables des dérives relevées dans Congo Hold-up.

La BGFI a indiqué mercredi dans un communiqué qu’elle condamnait les « actes contraires à la loi et l’éthique » ayant pu survenir dans sa filiale congolaise et avait pris en 2018 les « mesures d’assainissement » requises pour éviter tout dérapage futur.

Transparency International a relevé, dans un récent rapport, que la RDC disposait de lois permettant de lutter contre l’enrichissement illicite, mais que le manque d’indépendance des autorités policières et judiciaires limitait les chances de succès de telles procédures, plus encore lorsqu’elles concernent des politiciens disposant d’une immunité face aux tribunaux.