(Addis Abeba) Le gouvernement éthiopien a affirmé jeudi qu’il ne reculera pas dans la « guerre existentielle » face aux rebelles tigréens, qui ont affirmé ces derniers jours s’être emparés de plusieurs villes stratégiques et menacé de marcher sur la capitale Addis Abeba.

Un an jour pour jour après l’envoi de l’armée fédérale au Tigré, la région la plus septentrionale de l’Éthiopie, les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) affirment avoir progressé jusqu’à quelques centaines de kilomètres d’Addis Abeba.

À 325 km de la capitale

Ce week-end, ils ont revendiqué la prise de deux villes stratégiques dans la région de l’Amhara, où ils ont avancé après avoir repris l’essentiel du Tigré en juin.

Mercredi, ils ont annoncé être entrés dans Kemissie, à 325 kilomètres au nord de la capitale, où ils ont rejoint des combattants de l’Armée de libération oromo (OLA), groupe armé de l’ethnie oromo avec lequel ils ont fait alliance.  

PHOTO EDUARDO SOTERAS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme tient une bougie lors d’un service commémoratif pour les victimes du conflit du Tigré organisé par l’administration municipale, à Addis Abeba, en Éthiopie, le 3 novembre 2021.

Cette organisation nationaliste est implantée en Oromia, la plus grande région d’Éthiopie qui entoure Addis Abeba. Un porte-parole de l’OLA a affirmé mercredi à l’AFP que la capitale pourrait tomber en quelques semaines.

« Le TPLF et ses marionnettes sont en train d’être encerclés » par les forces gouvernementales, a démenti le gouvernement dans un communiqué au ton belliqueux, dénonçant une « propagande étrangère » favorable aux rebelles.  

« Nous menons une guerre existentielle ! », a-t-il lancé, en écho aux déclarations du premier ministre Abiy Ahmed accusant ces derniers jours les « terroristes » de vouloir « détruire » le pays.  

« Nous devons tous nous unir […] pour faire taire nos ennemis ivres de victoires temporaires », poursuit le texte.

Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 110 millions d’habitants), l’Éthiopie est une mosaïque de peuples réunis dans un système dit de « fédéralisme ethnique ».

Obstruction « flagrante »

Jeudi, le Parlement a approuvé l’état d’urgence décrété deux jours plus tôt par le gouvernement sur l’ensemble du territoire, tandis que les autorités de la capitale demandaient aux habitants de s’organiser pour défendre la ville.

« Après un an de guerre, le conflit éthiopien en est à un stade incroyablement dangereux, où aucune partie ne montre de signes de recul », estime William Davison, analyste à l’International Crisis Group.

Débuté le 4 novembre 2020, le conflit au Tigré, qui visait pour l’armée fédérale à destituer les autorités régionales dissidentes issues du TPLF, connaît un spectaculaire revirement ces derniers mois.

Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, avait proclamé la victoire le 28 novembre 2020. Mais en juin, les combattants pro-TPLF ont repris l’essentiel de la région, puis poursuivi leur offensive dans les régions voisines de l’Afar et de l’Amhara.

La progression rebelle inquiète la communauté internationale.

Un haut responsable de l’agence humanitaire gouvernementale américaine (USAID) a prévenu jeudi qu’une marche des rebelles sur la capitale viendrait aggraver la situation humanitaire déjà désastreuse dans le nord du pays.

Plus de 400 000 personnes sont au bord de la famine au Tigré, soumis à un blocus « de facto » selon l’ONU.

Le gouvernement et le TPLF s’accusent mutuellement d’entraver l’acheminement de l’aide et d’affamer la population.

Mais le responsable de l’USAID a pointé jeudi la responsabilité du gouvernement qui mène contre le Tigré « peut-être l’obstruction humanitaire la plus flagrante au monde ».

« Pratiquement aucun carburant, argent liquide, médicament ou fourniture médicale n’est entré depuis des mois, obligeant les (organisations) humanitaires à réduire ou arrêter complètement leurs programmes », a-t-il indiqué.  

Ces deux dernières semaines, aucune aide n’a pu atteindre le Tigré, a-t-il affirmé, soulignant également les besoins croissants en régions Afar et Amhara, où des centaines de milliers de civils fuient les combats.

Risque de « fragmentation »

L’émissaire américain pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, est arrivé jeudi à Addis Abeba pour promouvoir une solution pacifique au conflit.

Il y a rencontré plusieurs ministres dont le vice-premier ministre, Demeke Mekonnen, et poursuivra ses rencontres vendredi, selon le Département d’État américain.

« Profondément inquiets », les États-Unis souhaitent que « toutes les parties arrêtent les hostilités immédiatement-cela inclut le TPLF, cela inclut le gouvernement éthiopien », a déclaré à des journalistes à Washington le porte-parole du Département d’État Ned Price.

L’ambassade américaine a annoncé qu’elle autorisait le départ volontaire de la plupart de son personnel et déconseillé les voyages en Éthiopie.

L’ambassade britannique a conseillé à ses citoyens « d’envisager de partir » sur les vols commerciaux disponibles.

L’UE a renouvelé ses appels à un cessez-le-feu et à des négociations, estimant que « la récente escalade […] risque d’entraîner un peu plus le pays dans la fragmentation et les conflits armés généralisés, et d’aggraver la situation de la population ».