(Dakar) L’ancien président et dictateur tchadien Hissène Habré est décédé de la COVID-19 mardi à l’âge de 79 ans au Sénégal où il avait été condamné à la prison à vie en 2016 pour crimes contre l’humanité par une juridiction africaine.

Avec Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, « c’est un des bourreaux les plus sanguinaires de l’histoire de l’humanité qui vient de disparaître », a réagi auprès de l’AFP l’un des avocats des victimes, William Bourdon.

Hissène Habré laisse au Tchad l’image d’un chef de guerre et grand patriote qui a cherché à consolider le jeune État, mais dont la présidence reste entachée par une féroce répression. Elle aura aussi été marquée par la confrontation, avec le soutien de la France et des États-Unis, avec les forces libyennes de Mouammar Kadhafi.

L’actuel numéro un tchadien, Mahamat Idriss Déby, fils d’Idriss Déby Itno, qui renversa Hissène Habré en 1990 pour diriger le pays d’une main de fer pendant 30 ans, a présenté ses « sincères condoléances à sa famille et au peuple tchadien ». « À Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons », a-t-il dit sur Twitter.

Les premières réactions officielles tchadiennes saluaient davantage l’homme d’État qu’elles n’évoquaient ses méfaits.

Le gouvernement tchadien a toutefois indiqué qu’« aucun hommage officiel » ne lui sera rendu « en raison de ses condamnations et par respect pour ses victimes ».

« Nous ne nous opposons pas à ce que le corps soit rapatrié au Tchad », a aussi déclaré à l’AFP Abderaman Koulamallah, porte-parole du gouvernement. « Ce sera à sa famille de décider ».

Celle-ci ne s’était pas encore exprimée en fin d’après-midi. Aucune indication n’a été fournie sur le lieu de son inhumation.

Hissène Habré a succombé à la COVID-19 à l’hôpital principal de Dakar, a indiqué le consulat du Tchad à l’AFP. Il était tombé malade quelques jours auparavant et avait été sorti de la prison du Cap Manuel, dans le centre de Dakar, pour être admis à la demande de la famille dans une clinique privée, selon la même source. Il a été transféré à l’hôpital quand son état s’est dégradé.

« Habré a été remis entre les mains de son Seigneur », a déclaré le ministre de la Justice sénégalais Malick Sall sur la chaîne TFM. Selon le ministre, c’est à la clinique qu’il a contracté la COVID-19.

Santé déclinante

Hissène Habré était incarcéré au Sénégal en vertu de sa condamnation le 30 mai 2016 à la prison à vie à l’issue d’un procès sans précédent à Dakar. Il avait été déclaré coupable de crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement. Une commission d’enquête tchadienne a chiffré à 40 000 morts le nombre des victimes de la répression sous le régime Habré.

Hissène Habré, chassé en 1990 du pouvoir auquel il avait lui-même accédé par la force, avait trouvé refuge au Sénégal. Là, sous la pression internationale, les conditions de son procès avaient été créées et il avait été arrêté en 2013, et inculpé par un tribunal spécial instauré en coopération avec l’Union africaine.

Sa famille et ses avocats réclamaient depuis des mois un autre régime que celui de la détention en invoquant son âge, sa santé déclinante et le risque de contamination par la COVID-19 en prison.

La justice sénégalaise avait consenti en avril 2020 à le laisser sortir pendant 60 jours. Il était alors rentré chez lui à Dakar, sous garde pénitentiaire permanente selon les autorités sénégalaises. Mais il avait ensuite dû retourner en prison et la justice avait refusé une demande de libération en avril 2021.

Sa mort est de la « responsabilité à part entière des États africains et d’une manière particulière de l’État sénégalais », a déclaré à l’AFP Kelley Chidi Djorkodei, qui s’est présenté comme l’un de ses neveux parmi un certain nombre de Tchadiens venus devant l’hôpital.

« L’État sénégalais aurait pu éviter cela, juste en le libérant », a-t-il dit.  

Le ministre de la Justice a rejeté ces critiques. « Nous devons tous être fiers de la façon dont nous avons accueilli Habré », a-t-il assuré. « Là où il est il sait que le Sénégal a été à la hauteur de la Téranga », la tradition d’hospitalité, a-t-il dit.

« Aucune rancune »

Il a indiqué que les autorités se disposaient à le faire bénéficier d’un bracelet électronique.

Le collectif des victimes de Hissène Habré, tout en lui reconnaissant le droit à un traitement humain et à des soins, s’est toujours fermement opposé à tout régime de faveur en faisant valoir qu’il n’avait pas montré de mansuétude à leur égard et qu’il ne leur avait toujours pas versé le moindre centime sur les 82 milliards de francs CFA (125 millions EUR) auxquels il a été condamné selon elle.

« Nous n’avons aucune rancune à son égard. Il faut juste faire pression sur l’Union africaine pour que les victimes soient indemnisées », a dit une victime sénégalaise, Abdourahmane Guèye, qui vendait des bijoux au Tchad à l’époque. « Nous n’allons pas baisser les bras », a-t-il juré.

Les victimes et leurs avocats soupçonnent que Hissène Habré était resté à la tête d’une fortune considérable.