(Tunis) Le président tunisien Kais Saied, qui s’est octroyé il y a un mois les pleins pouvoirs, a prolongé « jusqu’à nouvel ordre » le gel du Parlement, plongeant un peu plus la jeune démocratie dans l’inconnu, dans un contexte de crise économique et sociale aiguë.

La présidence a publié un bref communiqué sur son compte Facebook : le chef de l’État « a émis un décret présidentiel prolongeant les mesures d’exception concernant le gel des activités du Parlement ainsi que la levée de l’immunité de tous les députés, et ce, jusqu’à nouvel ordre ».

Le Parlement, « un danger pour l’État » ?

« Le Parlement est un danger pour l’État », a déclaré mardi M. Saied, lors d’un entretien avec le ministre du Commerce, Mohamed Boussaïd, pour justifier les mesures prises dans ce pays d’Afrique du Nord qui constitue, dix ans après, l’unique rescapé du « Printemps arabe ».

Les institutions politiques existantes et leur manière de fonctionner représentent un danger persistant pour l’État.

Le président tunisien Kais Saied

Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, la principale force parlementaire, a exprimé mardi soir sa « préoccupation après la prolongation inconstitutionnelle des mesures exceptionnelles ».

Il a répété sa « position de principe » considérant les décisions prises par M. Said le 25 juillet, comme une « violation flagrante de la constitution ».

Le coup de force de Kais Saied remonte au 25 juillet. Ce juriste de formation a invoqué un article de la constitution qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de « péril imminent » à la sécurité nationale pour s’octroyer les pleins pouvoirs, limoger le chef du gouvernement Hichem Mechichi et suspendre le Parlement pour une période initiale de 30 jours.

« Prochains jours »

Alors que M. Saied a gardé le silence ces derniers temps, cette décision de prolonger le gel des activités parlementaires était « attendue », a réagi mardi auprès de l’AFP le politologue Slaheddine Jourchi, évoquant « une certaine lenteur depuis le 25 juillet dans la prise de mesures importantes ».

Selon lui, le président veut montrer, « à l’intérieur comme à l’extérieur, qu’il n’est pas dans la précipitation et qu’il est serein ».

Il « prépare le terrain pour des mesures qui pourraient être plus radicales », telles que « le gel de la Constitution ou son abolition et la dissolution du Parlement », a avancé M. Jourchi.

Il est devenu clair […] que le président ne veut personne d’autre que lui au pouvoir ».

Le politologue Slaheddine Jourchi, au sujet du coup de force du président Saied

Face à l’ampleur grandissante des doutes sur les intentions du chef de l’État, la présidence a indiqué qu’il s’adresserait « dans les prochains jours au peuple tunisien ».

Depuis son coup de force, Kais Saied n’a toujours pas nommé de nouveau gouvernement ni dévoilé de « feuille de route », réclamée par plusieurs partis politiques et des organisations de la société civile.

Sa décision a été qualifiée de « coup d’État » par certains juristes et ses adversaires politiques, en particulier le parti Ennahdha.

Anticorruption

Face aux accusations, M. Saied répète agir strictement « dans le cadre de la loi » et de la Constitution, adoptée en 2014.

Nombre de Tunisiens ont en outre accueilli avec enthousiasme ses mesures : exaspérés par leur classe politique, ils attendent des actes forts contre la corruption et l’impunité dans un pays où la situation sociale, économique et sanitaire est très difficile.

Mais si le président bénéficie d’une forte popularité en Tunisie, son coup d’éclat préoccupe la communauté internationale, qui craint que le berceau des Printemps arabes ne régresse vers l’autoritarisme.

Mardi, la France a dit avoir « pris connaissance de la décision du président Saied ».

Paris « se tient aux côtés de la Tunisie pour relever » les défis auxquels elle est confrontée et qui appellent des mesures urgentes que le président Saïed s’est engagé à prendre dans le respect de la légitimité populaire », a indiqué à l’AFP un porte-parole du Quai d’Orsay.

Recul des libertés

Depuis le 25 juillet, une purge anticorruption focalise les craintes d’un recul des libertés en Tunisie.

Des anciens responsables, hommes d’affaires, magistrats et députés sont visés par des arrestations, interdictions de voyage et assignations à résidence, sur simple décision du ministère de l’Intérieur, sans justification, ont dénoncé des défenseurs de droits de la personne.