(Tunis) La situation était très tendue en Tunisie lundi, après le congédiement du premier ministre et la suspension du Parlement par le président.

Le président a annoncé ces mesures en réponse à des manifestations nationales contre les problèmes économiques du pays et la gestion de la pandémie par le gouvernement

Des militaires ont encerclé le parlement lundi pour empêcher le président d’entrer.

Des manifestants sont descendus dans les rues pour célébrer la décision du président Kaïs Saïed, tard dimanche. Ses détracteurs lui reprochent toutefois de tenter d’accaparer le pouvoir, et les alliés étrangers de la Tunisie se sont inquiétés de voir la jeune démocratie de nouveau dériver vers l’autoritarisme. Les policiers ont d’ailleurs perquisitionné les bureaux de la chaîne Al-Jazira et ordonné sa fermeture.

C’est en Tunisie qu’est né le « Printemps arabe » de 2011, ce qui a mené à la chute de son leader de longue date, et on considère habituellement que c’est le seul pays où la transition vers la démocratie a été réussie.

Mais la prospérité n’était pas au rendez-vous : l’économie tunisienne périclitait avant même la pandémie, avec un taux de chômage de 18 %. De jeunes manifestants ont réclamé des emplois et la fin de la brutalité policière en grands nombres plus tôt cette année. Le gouvernement a récemment annoncé la fin des subventions au carburant et aux aliments, quand il a demandé un quatrième prêt au Fonds monétaire international en dix ans, suscitant la colère des régions pauvres.

La pandémie n’a fait qu’aggraver ces problèmes. La Tunisie est le site d’une des pires éclosions de coronavirus en Afrique, et le gouvernement a récemment réimposé des confinements et d’autres mesures.

Enragés par les problèmes économiques et la mauvaise gestion de la pandémie, des milliers de manifestants ont fait fi des restrictions et d’une chaleur accablante pour descendre dans les rues de plusieurs villes du pays dimanche pour réclamer la dissolution du parlement.

La foule, essentiellement composée de jeunes, criait « Dehors ! » et réclamait des élections anticipées et des réformes économiques. Des échauffourées ont éclaté en plusieurs endroits.

Le président a utilisé cette violence publique pour justifier sa décision de congédier le premier ministre et de suspendre le Parlement. Le président assure avoir respecté la loi, mais le président du parlement, Rached Ghannouchi, qui dirige le parti islamiste qui compte le plus grand nombre de députés, assure que le président ne les a pas consultés, le premier ministre et lui, tel que requis. Les trois hommes sont en conflit.

Le président Saïed a prévenu que des pénalités sévères seront imposées en cas d’atteinte à l’ordre public.

La police est intervenue lundi pour empêcher des affrontements entre les partisans du président et ceux du parti le plus important, Ennahdha. Les deux camps se sont échangés des insultes et des jets de pierres, selon un journaliste de l’Associated Press et des images partagées en ligne.

M. Ghannouchi a été intercepté par les forces de l’ordre quand il a voulu entrer dans le parlement pendant la nuit. Il patientait dans une voiture devant l’immeuble lundi. On ne sait pas ce qu’il compte faire maintenant.

Il a qualifié la décision du président de « coup contre la Constitution et la révolution (du Printemps arabe) » et assuré que le Parlement continuera à fonctionner.

La rivalité entre le premier ministre et le président est notamment tenue pour responsable de la mauvaise gestion de la pandémie. Une campagne de vaccination bâclée a mené au congédiement du ministre de la Santé plus tôt ce mois-ci.

Seulement 7 % de la population tunisienne a été entièrement vaccinée jusqu’à présent et 90 % des lits disponibles aux soins intensifs sont occupés, selon les données du ministère de la Santé. Des images qui circulent en ligne montrent des corps abandonnés dans les hôpitaux, alors que les morgues débordent.

Le parti Ennahda a été sévèrement critiqué, plusieurs lui reprochant de s’être davantage préoccupé de ses problèmes internes que de la gestion du virus.

Selon Al-Jazira, dix « policiers lourdement armés » sont entrés dans ses bureaux sans mandat et ont demandé à tout le monde de sortir. Les téléphones et équipements des journalistes auraient été confisqués et on ne leur aurait pas permis de rentrer chercher leurs effets personnels.

Plusieurs pays du Moyen-Orient reprochent au Qatar et à Al-Jazira de faire la promotion de groupes islamistes comme les Frères musulmans. Ses bureaux ont été fermés dans d’autres pays pour cette raison, notamment en Égypte après le coup d’État qui a porté au pouvoir le président actuel, Abdel-Fattah el-Sissi.

Quelques pays étrangers, comme l’Allemagne et la Turquie, ont dit être « très préoccupés » par la situation en Tunisie. L’Allemagne a estimé que le président semble justifier son intervention avec une interprétation très libérale de la Constitution.