(Genève) L’Égypte doit cesser d’abuser de sa législation antiterroriste pour museler les opposants au régime, les défenseurs des droits et les journalistes et pour maintenir indéfiniment les voix critiques en détention préventive, ont réclamé vendredi des dizaines de pays devant le Conseil des droits de l’Homme.

Ces 31 pays ont fait part de leur « profonde inquiétude concernant l’usage de la législation antiterroriste contre les militants des droits de l’Homme, les personnes LGBTI, les journalistes, les politiciens et avocats », selon une déclaration commune lue par Kirsti Kauppi, ambassadrice de Finlande auprès de l’ONU à Genève.

Le texte mentionne en particulier le cas de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), une association de défense des droits humains dont plusieurs membres ont été arrêtés en 2020 et qui a été accusée de terrorisme après une rencontre avec des ambassadeurs. Ils ont été libérés après le tollé international provoqué par leur arrestation.

Le texte demande aussi la libération de tous les journalistes.

Mme Kauppi a exhorté les autorités égyptiennes à « faire cesser les longues périodes de détention préventive infligées aux défenseurs des droits et aux militants de la société civile au nom de la législation contre le terrorisme ».

Elle a en particulier critiqué une méthode connue sous le nom de « rotation » consistant à prolonger les détentions au-delà de la limite légale par une manœuvre de procédure.

L’Égypte a rejeté toutes ces accusations, affirmant vendredi soir dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères que la déclaration commune contenait « des informations erronées ».

Le ministère a également appelé ces pays à « arrêter de proférer des accusations qui n’expriment que des opinions politiques s’appuyant sur des informations sans aucun fondement ».

« Message clair »

Le texte a été signé par de nombreux pays européens, dont la France — critiquée pour l’accueil fait au président Abdel Fattah al-Sissi à Paris en décembre — mais aussi les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Lors de la visite de son homologue, le président français Emmanuel Macron avait plaidé en faveur d’une « ouverture démocratique » et d’« une société civile active » en Égypte, mais avait refusé de conditionner à cette question le partenariat stratégique entre Paris et Le Caire.

L’Égypte compte plus de 60 000 détenus d’opinion, selon des ONG.

Depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi par l’armée en 2013 et l’arrivée au pouvoir l’année suivante de M. Sissi, une répression croissante s’est abattue sur toute forme d’opposition, islamiste ou libérale.

Les pays signataires veulent ainsi faire pression sur les autorités pour qu’elles appliquent correctement une loi sur les ONG adoptée en 2019, qui pourrait faciliter leurs actions, a expliqué un diplomate européen ayant participé à l’élaboration du texte.

Les groupes de défense des droits de l’Homme ont salué l’initiative.

Cette déclaration « met fin à des années d’absence de toute action collective devant le Conseil des droits de l’Homme, malgré la rapide détérioration de la situation » dans ce domaine, a commenté Bahey Hassan, qui dirige l’Institut d’études des droits de l’Homme du Caire, dans un communiqué conjoint avec neuf autres organisations de défense des droits y compris internationales.

Pour Kevin Whelan, représentant d’Amnistie internationale à Genève, cette déclaration « est un message clair à destination des autorités égyptiennes signifiant que le monde ne fermera plus les yeux devant ses campagnes menées sans relâche pour écraser une opposition pacifique ».