Le bilan de la violente répression ayant ciblé lundi les manifestants qui poussent depuis des mois les militaires soudanais à abandonner le pouvoir ne cesse de s’aggraver.

Un comité de médecins rattaché à l’Association des professionnels soudanais (APS), qui mène le soulèvement populaire, a indiqué hier que l’attaque menée contre la foule réunie à Khartoum devant le quartier général de l’armée avait fait plus d’une centaine de morts et 325 blessés.

L’organisation, citée par l’Agence France-Presse, a indiqué que 61 morts avaient été recensés dans les hôpitaux. Une quarantaine de corps ont aussi été trouvés dans les eaux du Nil.

Des paramilitaires liés à l’armée, les Forces de soutien rapide (FSR), plutôt que des soldats ordinaires ont été utilisés pour tirer sur la foule.

Ses membres, qui auraient commis de multiples viols durant la journée, sont sous les ordres du général Mohammed Hamdan Dagalo.

Ce commandant de sinistre réputation est le bras droit du général Abdel Fattah al-Burhan, qui chapeaute la junte militaire dirigeant le pays depuis la destitution de l’ancien dictateur Omar el-Béchir en avril.

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Le général Abdel Fattah al-Burhan

Le recours à la force est survenu soudainement après des semaines de manifestations pacifiques durant lesquelles les opposants au régime réclamaient la mise sur pied d’un comité de transition chapeauté par des civils.

Influence extérieure

Marc Lavergne, spécialiste du Soudan rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France, pense que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont joué un rôle important dans la tournure des évènements.

Dans les jours qui ont précédé l’attaque de lundi, les chefs de la junte militaire soudanaise ont tenu des rencontres avec les dirigeants des trois pays, qui soutiennent le régime financièrement.

M. Lavergne pense qu’on leur a signifié à cette occasion que « la plaisanterie avait assez duré » et qu’il était temps de rétablir l’ordre par la force.

Les trois États, chapeautés par des dirigeants autoritaires, veulent éviter que le soulèvement au Soudan ne mène à une forme de « contagion démocratique » sur leur propre territoire, explique le chercheur.

Ils espèrent par ailleurs s’assurer un accès durable aux ressources du pays grâce au maintien en place d’un régime à l’écoute de leurs besoins.

Appel à la négociation

Le spécialiste du CNRS se dit intrigué par le comportement du général al-Burhan, qui a lancé un appel à la négociation hier après avoir signifié dimanche l’abandon des discussions avec l’opposition civile.

Il a précisé qu’il « regrettait » ce qui s’était passé lundi, évoquant une opération de nettoyage ayant mal tourné.

« Changer d’avis de cette façon indique une faiblesse. Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement ? », demande l’expert, qui a chapeauté plusieurs missions d’observation dans le pays, incluant dans la région instable du Darfour.

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Des manifestants tentent depuis des mois de pousser les militaires soudanais à abandonner le pouvoir.

Le chercheur juge possible que l’armée, sensible à la défense de l’État, cherche à trouver un compromis pour limiter la montée en puissance des paramilitaires sous la gouverne du général Dagalo.

Le chef de la junte militaire devra composer, dans cette optique, avec les pressions venant d’Abou Dhabi et de Riyad, où l’on prétend suivre avec « beaucoup d’inquiétude » la situation au Soudan.

Le général al-Burhan « ne veut ni la guerre absolue ni l’abandon du pouvoir, et cherche apparemment un chemin intermédiaire en espérant que les Émiratis et les Saoudiens vont l’accepter », relève M. Lavergne.

De nouvelles flambées de violence sont possibles dans les prochains jours, puisque l’Association des professionnels soudanais a opposé une fin de non-recevoir aux appels au dialogue du chef de la junte.

Ses dirigeants ont appelé la population, qui célébrait hier la fin du ramadan, à poursuivre les marches et les grèves « jusqu’au renversement du régime » en place.