Fait impensable en Tunisie, la politique a presque laissé la place ces temps-ci à un sujet plus préoccupant : une pénurie d'eau sans précédent.

Cette fois, les coupures ne touchent plus seulement les régions éloignées du sud, mais également des stations balnéaires et des villes au nord.

En cause : la sécheresse, la surconsommation, les utilisateurs illégaux... et la politique.

« Ça fait trois ans que nous avons remarqué une hausse du nombre de coupures d'eau, et nous avons demandé des explications aux autorités sans jamais avoir de réponses », dit au bout du fil Alaa Marzouki, porte-parole de l'Observatoire tunisien de l'eau. 

« Il a fallu que la pénurie touche des hôtels de Hammamet et de Sousse [les stations balnéaires les plus importantes de Tunisie] pour que le problème sorte enfin. »

Depuis mai dernier, quelque 700 coupures d'eau ont été recensées, de quelques heures à plusieurs semaines. Les barrages d'eau, essentiellement remplis par la pluie, ont des réserves inférieures de 40 % à celles de l'an dernier. Des manifestations ont eu lieu, notamment dans le sud du pays à Gafsa, et le ministère des Affaires religieuses a même encouragé les imams à organiser des prières pour la pluie.

En vain, puisque des coupures ont encore été signalées aux médias tunisiens cette semaine, lors de la fête de l'Aïd al-Adha, la plus importante du calendrier musulman.

Flambée des prix de l'eau

Amor Troudi, un retraité qui habite la vieille ville de Sousse, est doublement touché par la pénurie. Lui et une vingtaine de ses voisins réclament depuis 16 ans un branchement au réseau de distribution d'eau à la société d'État tunisienne, la Société nationale d'exploitation et de distribution des eaux (SONEDE), qui se dit déjà débordée par la demande. Elle réclame 8000 dinars (4800 $) par résidence pour le branchement, soit 20 fois le salaire mensuel moyen. 

« C'est une grosse somme, personne n'a les moyens de payer ça. Alors je dois acheter chaque mois quatre citernes, à 30 dinars (18 $) la citerne. »

Depuis trois mois, la sécheresse s'aggravant, M. Troudi a vu le prix de ses citernes mensuelles doubler. Il note en outre que les bouteilles d'eau minérale sont de plus en plus rares au supermarché. « La Safia et la Marwa [marques d'eau minérale populaires], il n'y en a plus, leurs sources sont asséchées. »

Du melon aux olives

La Tunisie, dont les trois quarts du territoire sont arides ou semi-arides, subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique. Mais l'humain a une part de responsabilité plus directe, estime M. Marzouki, qui dénonce au premier chef la surconsommation d'eau. « La consommation augmente de 4 % par année, alors que la ressource diminue. Il y a des agriculteurs qui irriguent leurs terres avec de l'eau potable, et 80 % de notre eau va à la culture. »

Il croit que la Tunisie devrait se tourner vers des cultures moins gourmandes en eau pour privilégier celles qui sont associées traditionnellement à la région. « Certaines cultures, comme le melon ou les tomates, ne sont pas rentables. À l'observatoire, on conseille d'aller vers les dattes, les olives. »

Comme la politique n'est jamais loin, les médias tunisiens dénoncent avec vigueur les interventions - ou leur absence - de la SONEDE. Statistique rappelant étrangement celle de Montréal, on estime que 30 % de l'eau distribuée par la société d'État est perdue à cause des fuites. « On a beaucoup de problèmes que la SONEDE pourrait régler, dit M. Marzouki. Des fuites ne sont pas colmatées depuis trois ans. Et on laisse n'importe qui forer son puits et vider la nappe phréatique. Dans les régions intérieures de la Tunisie, il y a parfois un ou deux employés pour desservir des villes de 30 000 habitants. Les décisions sont trop centralisées. »

PHOTO FOURNIE PAR ALAA MARZOUKI

Alaa Marzouki, porte-parole de l'Observatoire tunisien de l'eau

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Amor Troudi, résidant de la ville de Sousse