Des journalistes sud-soudanais ont observé un silence médiatique de 24 heures vendredi, après le meurtre d'un confrère mercredi à Juba, quelques jours après que le président sud-soudanais Salva Kiir eut publiquement menacé de «tuer» les journalistes «travaillant contre le pays».

Rassemblés vendredi en mémoire de leur confrère, des journalistes ont demandé une enquête sur la mort du reporter Peter Moi, tandis que des organisations de défense de la liberté de la presse ont appelé le gouvernement à clarifier les propos tenus par le président la semaine dernière.

«Nous espérons sensibiliser au fait que les journalistes ne sont pas satisfaits de la gestion des événements par le gouvernement... et faire pression sur le gouvernement afin qu'il agisse rapidement pour trouver le tueur de ce garçon», a déclaré Alfred Taban, directeur de l'Association pour le développement des médias au Soudan du Sud (AMDISS).

Peter Moi, reporter du quotidien indépendant New Nation, a été abattu mercredi soir à Juba par des inconnus de deux balles dans le dos, après avoir quitté son travail, dans ce qui ressemble à un assassinat ciblé. Son argent et son téléphone mobile n'ont pas été volés.

«La liberté de la presse ne signifie pas que vous pouvez travailler contre le pays», avait lancé M. Kiir à des journalistes à l'aéroport de Juba, où il embarquait à destination de la capitale éthiopienne Addis Abeba pour d'ultimes pourparlers en vue de mettre fin à la guerre civile qui ravage le Soudan du Sud depuis 20 mois.

«Si certains d'entre vous [journalistes] ne savent pas que ce pays a déjà tué des gens, nous allons le démontrer un jour», avait menacé le chef de l'État, des propos rapportés par le Comité de Protection des journalistes (CPJ).

Selon le CPJ, citant des journalistes locaux, ces menaces répondaient à des critiques sur le caractère stérile et interminable des négociations d'Addis Abeba.

Lundi soir, le chef de la rébellion au Soudan du Sud, Riek Machar, a signé à Addis Abeba un accord destiné à mettre fin au conflit. Malgré les menaces de sanctions internationales et les condamnations des États-Unis et de l'ONU, le président Salva Kiir a refusé de le faire et obtenu un délai de 15 jours pour «mener des consultations».

Le parti au pouvoir avait prévu d'organiser vendredi des manifestations pour montrer leur opposition à cet accord. Celles-ci n'ont cependant pas eu lieu, sans qu'un lien ne soit établi avec le blackout médiatique.

Le Soudan du Sud est au 125e rang sur 180 pays dans le classement de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse.

«Qu'un chef d'État menace de mort les journalistes de son pays est proprement criminel», a déclaré dans un communiqué Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. «Certaines paroles peuvent tuer, surtout quand elles émanent d'un président de la République».

Le Soudan du Sud est plongé dans la guerre civile depuis décembre 2013, quand des combats ont éclaté au sein de son armée, minée par des antagonismes politico-ethniques alimentés par la rivalité à la tête du régime entre M. Kiir et son ancien vice-président Riek Machar.

Les organisations de défense de la liberté de la presse ont mis en garde à plusieurs reprises contre le climat d'intimidation qui règne dans le pays et la volonté de tuer dans l'oeuf tout débat sur les moyens de mettre fin à la guerre civile, marquée par de nombreux massacres et atrocités, qui a fait des dizaines de milliers de morts.