Les attaques se multiplient dans le nord-est du Nigeria, où de vastes pans du territoire sont aujourd'hui sous l'emprise de Boko Haram. La flambée de violence, qui met en lumière les difficultés de ce pays miné par la corruption, survient à quelques semaines d'une présidentielle qui promet d'être chaudement contestée.

Quel est le bilan des dernières attaques?

Selon Amnistie internationale, l'offensive menée en fin de semaine contre la ville de Baga et ses environs, dans l'État de Borno, à l'extrême nord-est du pays, a fait «plusieurs centaines» de victimes «si ce n'est plus». Le nombre de 2000 victimes a été avancé mais rapidement contesté par le gouvernement central. Il s'agirait, quoi qu'il en soit, de l'une des actions les plus meurtrières depuis le début de l'insurrection islamiste, en 2009. Un pêcheur qui a réussi à se réfugier au Tchad pour échapper à l'offensive avant de revenir brièvement sur place a confié à l'Agence France-Presse que l'agglomération était en ruine et qu'il y avait «des corps entassés partout». Une attaque meurtrière est aussi survenue samedi à Maiduguri, capitale de l'État, où une bombe attachée à une fillette a explosé dans un marché, faisant 19 morts et 18 blessés. Hier, de nouveaux affrontements sont survenus au Cameroun, où les islamistes s'en sont pris à une base militaire près de la frontière.

Que vise Boko Haram en attaquant les civils?

Frank Chalk, professeur d'histoire à l'Université Concordia, qui connaît bien le Nigeria, note que l'objectif premier de Boko Haram est de terroriser la population civile afin d'assurer sa soumission au «gouvernement parallèle» que les islamistes ont entrepris de mettre en place dans la vaste zone qu'ils ont conquise. Le chef du groupe extrémiste, Abubakar Shekau, a déjà déclaré qu'il entendait constituer un «califat», à l'instar du groupe État islamique en Irak. Cédric Jourde, spécialiste des questions africaines à l'Université d'Ottawa, estime de son côté que la «fragmentation» extrême de Boko Haram - qui regroupe, selon lui, une constellation de groupes armés faiblement coordonnés plutôt qu'une organisation véritablement centralisée - complique l'analyse de ses motivations. Il est possible, dit-il, qu'une faction radicale veuille imposer sa vision aux autres avec des gestes irrémédiables. Possible aussi que des acteurs de la crise cherchent à «instrumentaliser la violence» pour favoriser leur intérêt personnel, par exemple en entretenant l'idée que le gouvernement central ne peut agir efficacement.

L'armée peut-elle arrêter Boko Haram?

Le gouvernement de Goodluck Jonathan maintient qu'il déploie des efforts considérables pour juguler la violence dans le nord-est du pays. Vendredi, un porte-parole a assuré que des troupes «poursuivaient activement les islamistes» dans la région de Baga. Le survivant interrogé par l'AFP a toutefois relevé qu'il n'y avait aucun soldat dans la ville et que des militaires avaient fui en bateau avec les civils pour échapper à l'assaut. Robert Rotberg, du Centre for International Governance Innovation (CIGI), relève que de tels comportements ont souvent été signalés. Les soldats, dit-il, se plaignent d'être mal armés. «Les officiers s'approprient leurs armes pour les revendre et empochent les salaires», indique l'analyste. La corruption des forces armées a un impact déterminant sur le moral des troupes, confirme Frank Chalk, de l'Université Concordia. «Si on ne les paie pas, ne les loge pas correctement, ne les nourrit pas, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils meurent pour la patrie», relève-t-il. L'armée bénéficiait notamment du soutien technique des États-Unis, qui ont réduit leur aide parce qu'elle ne donnait pas de résultat, explique M. Rotberg. Cédric Jourde, de l'Université d'Ottawa, note aussi que le gouvernement se montre «très susceptible» dans ses relations avec les pays occidentaux.

La politique joue-t-elle un rôle dans la crise?

Les tensions politiques ne sont pas étrangères à la violence qui sévit dans le nord-est du Nigeria. Robert Rotberg, de CIGI, note que le gouvernement est mal disposé envers les gouverneurs de la région, qui sont liés à l'opposition. Frank Chalk affirme que l'État nigérian a fait historiquement très «peu de choses» pour promouvoir l'éducation, la santé et la sécurité dans le nord-est, ce qui a favorisé la détérioration de la situation et la montée en force des islamistes. L'International Crisis Group a suggéré dans une récente analyse qu'une forme de «plan Marshall» pour la région serait la meilleure manière de couper l'herbe sous le pied de Boko Haram.

Malgré son piètre bilan sécuritaire, Goodluck Jonathan est loin d'être donné battu face à son principal adversaire à l'élection prévue à la mi-février, l'ex-dictateur Muhammadu Buhari. Les débats portent surtout, pour l'heure, sur la corruption et la marche à suivre pour relancer l'économie alors que les revenus pétroliers chutent. M. Chalk ne croit pas que le gagnant du scrutin pourra changer rapidement la donne dans le pays. «Je ne vois personne qui soit crédible comme réformateur», dit-il.