«Je suis entrée dans la milice à cause des difficultés liées à la guerre. Toute ma famille est morte. Je n'avais pas le choix», raconte doucement Rosine Bindu Lukoo, 18 ans, perchée sur sa chaise.

La rencontre se déroule dans un modeste bureau de l'Équipe d'éducation et d'encadrement des traumatisés de Nyiragongo (ETN), à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, région très touchée par les violences qui sévissent depuis une vingtaine d'années en République démocratique du Congo (RDC).

«Mon grand-père a été décapité par les miliciens. Ma grand-mère a été découpée en morceaux avec une machette», explique de sa voix neutre la jeune fille. Alors que Rosine n'a que 11 ans, les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) - un groupe armé actif depuis 2000 en RDC - assassinent sa famille devant ses yeux.

Lorsqu'elle se fait approcher à 15 ans par les «» Maï-Maï, un des nombreux groupes rebelles qui déstabilisent la région, Rosine s'enrôle. «C'est vrai que le recrutement se faisait par la force. Mais pour ma part, j'avais aussi envie de combattre», précise-t-elle à travers son traducteur swahili-français.

Vêtue du seul pagne - tissu traditionnel coloré de la RDC - qu'elle possède, les cheveux tressés, le regard dur, Rosine raconte ses souffrances sans broncher. Celle qui a «horreur de verser le sang» ne combattait pas directement. Elle cuisinait, faisait le ménage pour les miliciens, tout en prenant part à certains pillages, «pour avoir sa part du butin».

«Pendant que nous vivions dans la forêt, nous avons beaucoup souffert, parce que nous vivions du vol. Pour manger, il fallait piller la population. Pour manger, il fallait voler du bétail», confie-t-elle. Durant toute l'entrevue, elle n'aura pas souri une seule fois.

Une réinsertion difficile

Depuis une décennie, 36 000 enfants ont été démobilisés par diverses organisations en RDC. Ces dernières sillonnent les régions reculées de l'est de la République pour tenter d'extirper les enfants associés aux forces et groupes armés.

Il y a deux ans, un des camions du Comité international de la Croix-Rouge croise sur sa route Rosine et trois de ses compagnes miliciennes. À 16 ans, Rosine saute sur cette occasion pour se sortir de sa vie précaire et des «conditions de vie inhumaines» qu'elle vit. D'abord prise en charge par un organisme onusien, elle est finalement envoyée à Goma, au centre ETN, un organisme qui tente de réinsérer des enfants soldats, mais aussi des enfants orphelins et toxicomanes.

L'endroit grouille d'activités. Dans la cour, une dizaine d'adolescents apprennent à déboulonner un moteur, d'autres apprennent à utiliser une scie sauteuse. À l'intérieur, une vingtaine s'affairent à préparer des plats traditionnels congolais. Soixante pour cent des enfants formés au centre ETN de Goma réussissent à devenir autonomes financièrement.

Rosine fait partie des jeunes avec un «niveau intellectuel plus élevé", selon le directeur du centre, elle a donc été assignée à l'informatique.

Patricia Tuluka, spécialiste en réinsertion des groupes vulnérables à l'Unité d'exécution du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) au gouvernement congolais, voit des avantages et des inconvénients à une telle réinsertion.

«En même temps, la formation professionnelle rapporte de l'argent, une sécurité", affirme-t-elle en entrevue téléphonique depuis son bureau à Kinshasa. Mais la formation professionnelle n'assure qu'une stabilité matérielle temporaire "illusoire", alors que l'éducation formelle permet de planifier le long terme, renchérit-elle.

Et les enfants eux-mêmes doivent composer avec le quotidien en dehors des groupes armés. «Lorsque j'ai quitté la milice, j'avais un objectif clair: faire des études. Je ne voulais plus retourner dans la brousse. Mais ici, les difficultés sont nombreuses», explique Rosine.

«Nous sommes nostalgiques de l'époque où nous étions dans la milice. Nous n'avons pas de salaire. On ne nous achète ni habits ni chaussures. Ces gens qui nous ont démobilisés ne s'occupent plus de nous. Regarde à quel point mes cheveux sont mal entretenus», ajoute-t-elle avec un geste coquet vers ses cheveux tressés.

Insécurité dans l'Est

Le manque de ressources et de structures de formation dans les provinces de retour explique en partie les obstacles que doivent affronter les enfants et les intervenants. La difficulté principale reste tout de même l'instabilité qui règne dans l'est de la République démocratique du Congo.

«Entre une trentaine et une quarantaine de groupes armés [...] essaiment [actuellement] vers l'est de la République démocratique du Congo», confirme le colonel Félix Prosper-Basse, porte-parole militaire de la MONUSCO, la force onusienne présente depuis 12 ans dans le pays.

Et tant qu'il y a des groupes armés, il y a des enfants enrôlés, affirme Patricia Tuluka, spécialiste en réinsertion. Même si les statistiques sont encourageantes et que la sensibilisation des dix dernières années a porté des fruits, des milliers d'enfants associés aux forces armées, c'est «déjà trop».

«Un enfant, c'est déjà beaucoup», conclut-elle.

Les combats dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) ont repris fin août après une brève trêve. Dans la nuit de lundi à mardi, un accrochage a opposé les Forces armées de la RDC (FARDC) et le Mouvement du 23 mars (M23) sur la ligne de front de Kibumba, à une quinzaine de kilomètres de Goma, chef-lieu de la province du Nord- Kivu, grandement touchée par les violences qui sévissent depuis une vingtaine d'années dans le pays.

Le M23, mouvement rebelle le plus structuré et en grande partie responsable de l'insécurité dans la région, a aussi fait feu vendredi en direction d'un hélicoptère militaire de l'ONU, un peu plus au nord. Ces incidents surviennent un peu plus d'un mois après la reprise des combats dans les environs de Goma.

Fin août, les FARDC, conjointement avec la Brigade d'intervention de laMONUSCO, la force onusienne en place depuis 12 ans en RDC, ont repris Kibati des mains du M23, et l'ont repoussé à Kibumba, rendant la ville de Goma hors de portée des tirs rebelles.