Rien ne va plus dans le nord du Nigeria. Le gouvernement local vient de lancer une offensive armée contre Boko Haram, une secte islamiste peut-être liée à Al-Qaïda qui multiplie les attaques dans la région. Mais les observateurs craignent que cette intervention ne jette de l'huile sur le feu.

Q Que se passe-t-il dans le nord du Nigeria?

R Le 14 mai dernier, le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a déclaré l'état d'urgence dans trois États du nord du pays et y a lancé une offensive militaire. L'objectif: mater Boko Haram, une secte islamiste née en 2002 qui multiplie les attentats depuis quelques années. Le nord du Nigeria, la région la plus pauvre du pays, est régulièrement la scène de divers troubles. Mais selon Comfort Ero, directrice du programme africain d'International Crisis Group, la violence atteint aujourd'hui un niveau sans précédent. «La brutalité n'est pas seulement l'apanage de Boko Haram, mais aussi des forces militaires, explique-t-elle depuis Nairobi, au Kenya, d'où elle planifie une mission au Nigeria. On voit des attaques aléatoires contre des professeurs, des infirmières, des enfants, des gens ordinaires. Tout le monde, aujourd'hui, est dans la ligne de feu.»

Q Qui est Boko Haram?

R Boko Haram est un groupe extrémiste qui réclame l'instauration d'un État islamiste basé sur la charia dans le nord du Nigeria. Le nom de la secte signifie «l'éducation occidentale est un péché».

Le groupe a été fondé en 2002 par le prédicateur Mohammed Yusuf. Son assassinat par la police nigériane, en 2009, a mis le feu aux poudres. Boko Haram a revendiqué, depuis, des dizaines d'attentats à la bombe contre des postes de police, des églises chrétiennes et des installations gouvernementales. En 2011, le groupe est sorti de son fief du Nord pour frapper le siège de l'Organisation des Nations unies à Abuja, au centre du pays. Selon Human Rights Watch, les attaques et leur répression ont fait 3600 morts depuis 2009.

En janvier 2012, une branche dissidente appelée Ansaru est apparue sur le radar des autorités.

Q Quels sont les impacts de la récente offensive armée?

R «Cette réponse du gouvernement par la force risque de mener à davantage de mécontentement et de radicalisation de la part de différents groupes et rendre le nord du Nigeria encore plus instable», craint Comfort Ero, de l'International Crisis Group. Elle s'inquiète d'autant plus que des élections sont prévues au Nigeria en 2015. «Les troubles actuels risquent de se transposer à la politique d'une façon qui pourrait être dévastatrice», dit-elle.

Selon Thomas Kwasi Tieku, spécialiste de l'Afrique à l'Université de Toronto, la situation demeurera tendue dans le nord du Nigeria tant que le gouvernement n'y assiéra pas sa légitimité en s'attaquant aux problèmes de pauvreté, d'éducation et de manque d'infrastructures. En attendant, il s'inquiète de voir de jeunes hommes, encouragés par l'armée, faire leur propre lutte contre les extrémistes armés de machettes et de bâtons. «Ces milices pourraient s'armer et finir par se retourner les unes contre les autres», craint-il.

Q Quel rôle joue Al-Qaïda au Nigeria?

R Un officier américain a déjà lié Boko Haram à Al-Qaïda au Maghreb islamique, et la branche dissidente Ansaru revendique de tels liens.

«L'idéologie et les tactiques de combat sont les mêmes, mais je ne crois pas qu'il existe de liens formels», dit cependant Thomas Kwasi Tieku, de l'Université de Toronto.

«Ces groupes opèrent selon des affiliations qui ne sont pas rigides et il est difficile de dire si les liens avec Al-Qaïda existent», indique aussi Comfort Ero, d'International Crisis Group, qui espère en apprendre davantage lorsque son équipe se rendra sur place.

Ce qui est clair, c'est que des combattants du Mali, du Tchad et du Cameroun ont grossi les rangs de Boko Haram. Il est possible que des militants somaliens se soient aussi joints au conflit.