La petite Farhya Ali est assise sur un lit métallique et mâchonne, avec difficulté, un bout de pain qui a trempé dans un bouillon infect couvert de mouches.

Le regard perdu dans le vide, l'enfant de 3 ans semble n'avoir aucune conscience de son entourage. Ses membres dégarnis et longilignes et les côtes qui strient sa poitrine témoignent de l'épreuve qui l'a pratiquement achevée.

«Aujourd'hui, je remercie Dieu. Au moins, elle est capable de se tenir et elle mange par elle-même un peu. Vraiment, je remercie Dieu», lance sa grand-mère, Hawa Ali, en manifestant un enthousiasme qui cadre mal avec l'image de misère absolue projetée par la fillette.

L'hôpital Banadir, situé au coeur de Mogadiscio dans un bâtiment décrépi entouré d'ordures, continue de recevoir chaque jour des dizaines d'enfants qui ont besoin comme elle d'une aide alimentaire urgente.

«Quand je suis arrivée ici, ma petite fille n'était même pas capable d'ouvrir les yeux. Elle était pratiquement dans le coma», précise Hawa Ali, qui a laissé son fils et ses trois autres enfants dans un des camps de réfugiés de la capitale.

Les autres sont en bonne santé pour l'instant, mais ils souffrent aussi énormément de la faim, explique la Somalienne. «Nous recevons un peu de nourriture dans le camp. Tous les 10 jours, on nous remet de l'huile et du riz, mais ça ne suffit pas.»

Fuir la faim

La famille, comme des milliers d'autres, a dû partir de son village au sud de la capitale il y a plusieurs semaines parce qu'elle était venue à bout de ses réserves de nourriture et n'avait pas d'autres ressources.

Après avoir fait à dos d'âne une partie du parcours, la vieille femme et ses proches ont réussi à parvenir à Mogadiscio, d'où sont distribuées les milliers de tonnes métriques de nourriture affluant de l'étranger.

Une aide encore insuffisante, à en juger par l'apparence des patients les plus critiques de l'hôpital Banadir.

Ceux qui souffrent de malnutrition sévère, comme Farhya Ali, sont immédiatement transportés dans une aile spécifique de l'établissement et soumis à un traitement progressif. Parfois avec succès, parfois non.

«Le processus peut prendre des semaines. Ça dépend du niveau de malnutrition et des complications que le patient a pu subir en raison de son état de faiblesse», explique Yaasmiin Shire, jeune praticienne de 24 ans.

Mohammed Hassan, frêle garçon de 6 ans, est un cas typique. Arrivé il y a une dizaine de jours à l'hôpital avec la peau sur les os et une sévère anémie, il peinait toujours à faire le moindre mouvement au milieu de la semaine.

Prostré en position foetale au bout du lit, le maigre garçon de 6 ans réussissait à peine à lancer un occasionnel regard à sa mère, qui tenait dans ses bras sa soeur, âgée de 1 an. Les mouches, en abondance dans l'hôpital, allaient et venaient sur son visage sans susciter la moindre réaction.

«Je remercie Dieu que ma fille aille bien. J'espère que Mohammed finira par aller mieux aussi. Mais s'il meurt, je saurai que son temps était venu», soupire avec résignation Fadoma Yusuf.

La jeune femme de 24 ans a elle aussi dû quitter en catastrophe la région du Bas Shabelle, il y a trois mois, faute de pouvoir nourrir sa famille.

«La situation là-bas est très difficile. On avait des vaches et des chèvres, mais on a tout perdu. On était obligés de partir», relate la mère, qui vivait dans une zone contrôlée par les shebabs.  

Ces miliciens islamistes redoutés, qui contrôlent de vastes pans du sud et du centre du pays, freinent le travail des organisations humanitaires et n'offrent aucun soutien à la population, souligne-t-elle.

«Ils ne nous ont jamais rien donné. Ils ne nous ont même jamais demandé quelle était notre situation. Je ne les aime pas», raconte Fadoma Yusuf, qui survit dans la capitale grâce aux dons qu'elle réussit à recueillir à gauche et à droite.





Lumière au bout du tunnel?

Bien que l'hôpital Banadir soit plein et que l'aile réservée aux enfants souffrant de malnutrition sévère demeure très occupée, la docteure Yasmiin Shire trouve qu'il y a matière à se réjouir.

«Il y a un mois, on perdait un ou deux enfants par jour. Là, je crois que nous n'en avons perdu qu'un seul en une semaine», souligne-t-elle.

Les Nations unies affirment que des dizaines de milliers de personnes ont déjà trouvé la mort en Somalie et que des centaines de milliers d'autres sont à risque. Les données précises à ce sujet sont cependant difficiles à obtenir dans un pays exsangue.

L'effondrement de longue date de l'appareil étatique, la poursuite des combats dans certaines zones et le pouvoir plus que fragile du gouvernement transitoire, qui ne contrôle guère plus que la capitale, rendent l'exercice pratiquement impossible.

«Les journalistes veulent toujours des chiffres, mais je n'en ai pas à offrir», souligne en entrevue le directeur de l'agence somalienne chargée de lutter contre la famine, Abdullahi Mohamed Shirwac.

Des années de guerre, combinées à une sécheresse sans précédent, ont précipité la crise actuelle, explique le fonctionnaire, dont l'optimisme contraste fortement avec le discours alarmiste des organisations humanitaires internationales. Il maintient que la phase critique de la crise devrait être terminée d'ici quelques mois et prédit même que les réfugiés de la capitale commenceront bientôt à retourner vers les campagnes par milliers.

Saïda Ahmed Qodow, mère d'une autre fillette soignée à l'hôpital Banadir, exclut catégoriquement ce scénario.

«Au moins, ici, les gens peuvent nous aider. On peut obtenir de la nourriture, de l'eau. Là-bas, il n'y a rien du tout. Tout ce qu'on peut faire, c'est attendre la pluie», déplore-t-elle.





Photo: TONY KARUMBA, AFP

Les Nations unies affirment que des dizaines de milliers de personnes ont déjà trouvé la mort en Somalie et que des centaines de milliers d'autres sont à risque.

Une ville transformée en camp de réfugiés

Dans l'espoir d'échapper à la famine, des dizaines de milliers de Somaliens ont fui par les routes au cours des derniers mois pour se rendre dans des camps de réfugiés au Kenya et en Éthiopie.  

Plusieurs dizaines de milliers d'autres ont plutôt décidé de tenter leur chance dans la capitale, Mogadiscio, qui manque cruellement d'infrastructures pour faire face à cet afflux massif de population.

Faute de mieux, les réfugiés se sont installés un peu partout sur des terrains vagues, créant des abris de fortune avec des perches de bois, de la toile et des sacs de plastique qu'ils sont capables de trouver.

Parfois, des familles complètes dorment pratiquement en plein air sous des branchages enchevêtrés qui n'offrent guère de répit contre le soleil brûlant et les puissantes ondées qui traversent la ville.

Même si aucun décompte précis n'existe, les autorités avancent qu'il y aurait à l'échelle de la capitale près de 200 camps de fortune qui se forment et disparaissent au rythme des événements.  

Des personnes déplacées par les combats, parfois depuis des années, se mêlent aux derniers arrivants, qui fuient pour la plupart les campagnes dévastées par la sécheresse, faisant exploser la taille de certains campements.

Ali Gede Rage, 60 ans, habitait dans le nord de Mogadiscio. Il a dû fuir la zone il y a quelques semaines en raison des combats qui opposent les forces de l'Union africaine présentes en Somalie aux shebabs. Les milices islamistes, qui ont longtemps contrôlé la ville, ont battu en retraite il y a quelques mois devant les forces gouvernementales, mais elles continuent de livrer bataille en périphérie.





Photo: TONY KARUMBA, AFP

Faute de mieux, les réfugiés se sont installés un peu partout sur des terrains vagues, créant des abris de fortune avec des perches de bois, de la toile et des sacs de plastique qu'ils sont capables de trouver.

Cinq mille familles dans un camp

Le vieillard a trouvé refuge avec ses proches dans le camp de Sayidka, à l'instar de près de 5000 autres familles qui vivent côte à côte dans des abris de fortune, à un jet de pierre d'une importante artère reliant les principaux ministères à l'aéroport, en bord de mer.

Le piètre état des bâtiments, transformés en gruyère par les combats, offre un triste spectacle aux réfugiés, qui n'ont guère le luxe de se prêter à de telles considérations esthétiques.

«Regardez, comme nous sommes en pente, l'eau entre directement. Quand il pleut, nous sommes obligés de rester debout», dit Ali Gede Rage, alors que se forme autour de lui une foule de curieux.

«Nous souffrons ici, mais nous n'avons pas vraiment le choix», ajoute le réfugié, suscitant des hochements de tête approbateurs de ses compatriotes.

Selon Mohamoud Mohamed Ali, qui se présente comme un des administrateurs improvisés des lieux, le camp a commencé à se former au printemps lorsque les premiers réfugiés affluaient vers la capitale pour fuir la famine.

Mis à part une organisation humanitaire turque, personne ne leur a offert de soutien, se plaint-il.

«On n'a pas de médicaments ici, pas de nourriture, pas d'eau, laisse-t-il tomber. Bref, il manque de tout. S'il vous plaît, faites passer le message que nous avons besoin d'aide.»