L'armée kényane s'est lundi un peu plus enfoncée dans le Sud somalien pour combattre les islamistes shebab que Nairobi rend responsable de récents enlèvements d'Européennes, une opération à laquelle les rebelles menacent de répliquer en frappant le «coeur» du Kenya.

Jamais depuis le début de la guerre civile qui ravage la Somalie depuis 1991, le Kenya n'avait mené une opération officielle et de cette envergure sur le sol de son voisin.

«Les forces kényanes ont pénétré à environ cent kilomètres à l'intérieur des territoires somaliens et, dans certains cas, leurs avions militaires ont bombardé à l'intérieur de la Somalie,» a dénoncé le porte-parole des insurgés Ali Mohamed Rage.

«S'ils continuent comme ça, ils vont le regretter et sentir les conséquences à domicile», a-t-il menacé.

«Le Kenya est en paix, ses villes ont des grands immeubles et les affaires y sont florissantes, alors que la Somalie est en plein chaos», a-t-il ajouté, affirmant que les rebelles étaient prêts à frapper au «coeurs (des) intérêts» kényans si Nairobi ignorait leurs «appels à stopper son agression sur le sol somalien».

Dans la province somalienne du Bas Juba, des témoins ont repéré lundi des forces kényanes, soutenues par des troupes du gouvernement somalien de transition (TFG) et des milices locales, près de Qoqani. La ville, à quelques dizaines de km de la frontière, était jusqu'à ce week-end un bastion shebab.

«Les troupes kényanes, appuyées par des tanks et d'autres véhicules militaires ont pris position près de Qoqani,» a affirmé Saleban Mohamed, un habitant d'un village voisin.

«Des soldats kényans lourdement armés ont commencé à creuser des tranchées,» a renchéri un autre témoin, Abdulahi Sayid Adam.

Nairobi avait annoncé dimanche l'entrée de militaires kényans en Somalie, pour «poursuivre» les shebab qu'elle accuse d'avoir orchestré les récents enlèvements sur son territoire, même si aucun de ces rapts n'a jusqu'ici été publiquement revendiqué.

Les shebab renforcent leurs positions

Deux Espagnoles ont été kidnappées jeudi dans les camps de réfugiés de Dadaab, dans l'est du Kenya à une centaine de km de la Somalie. Avant elles, une Britannique et une Française avaient été enlevées sur l'archipel de Lamu (est). Toutes ont, selon la police, été emmenées en Somalie.

Lundi, les insurgés, qui contrôlent largement le Sud somalien, ont aussi renforcé leurs positions près de la frontière.

«J'ai vu environ 50 camions et pick-up, équipés d'armes à feu et de centaines de combattants qui se dirigeaient vers la frontière kényane,» a affirmé un témoin à Kismayo, Abdi Jumale.

«Ils ont collecté toutes les armes des postes près d'Afgoye et rassemblé des centaines de jeunes combattants pour faire face à leur ennemi dans le Bas Juba,» a poursuivi un autre témoin sous couvert d'anonymat à Afgoye.

Les troupes kényanes, affirment des analystes, ont déjà traversé la poreuse frontière avec la Somalie. Mais Nairobi n'avait jusqu'ici jamais confirmé une opération de cette sorte.

La dernière invasion unilatérale de la Somalie par un État voisin remonte à 2006: l'Éthiopie avait envoyé des troupes pour contrer un mouvement islamiste qui avait pris le pouvoir à Mogadiscio, et dont les shebab sont une émanation.

Les rebelles, qui se revendiquent d'Al-Qaïda, ont à plusieurs reprises menacé toute puissance régionale qui aiderait le TFG, soutenu lui par la communauté internationale.

En 2010, les shebab avaient revendiqué un attentat suicide à Kampala qui avait fait 76 morts. Ils avaient voulu faire payer à l'Ouganda sa participation à la force de l'Union africaine en Somalie, qui appuie le TFG.

Les insurgés, disent les analystes, ont épargné jusqu'ici le Kenya d'une attaque d'envergure, car le pays leur a servi de base logistique et financière.

Mais Nairobi garde tout de même aussi en tête le sanglant souvenir d'une attaque revendiquée par Al-Qaïda: celui contre l'ambassade américaine en 1998, qui avait fait 213 morts et environ 5 000 blessés en plein coeur de la capitale.