Les islamistes tunisiens d'Ennahda, donnés favoris du scrutin du 23 octobre, ont condamné samedi toute violence, mais ont à nouveau parlé de «provocation», après une attaque visant le patron d'une chaîne accusée de blasphème et une démonstration de force des extrémistes à Tunis.

Après la poussée de fièvre de vendredi, la situation était calme samedi dans la capitale.

Depuis Paris, le chef d'Ennadha Rached Ghannouchi a affirmé que son mouvement était «contre toute forme de violence», mais il a aussi fustigé la «provocation» de Nessma TV, qui a diffusé le film franco-iranien Persepolis.

«Je soutiens le droit du peuple tunisien à dénoncer cette atteinte à sa religion», a-t-il déclaré à l'AFP, joint par téléphone depuis Tunis.

«Nous sommes totalement étrangers à ces actes de violence», a insisté de son côté Ali Larayedh, membre du bureau exécutif d'Ennadha.

Vendredi soir, une centaine d'hommes, décrits par des témoins comme des salafistes, ont attaqué le domicile du patron de Nessma TV Nabil Karoui, à l'issue d'une manifestation qui avait réuni des milliers de personnes à l'appel de groupes extrémistes pour réclamer la fermeture de la chaîne.

Les assaillants, armés de cocktails Molotov, de couteaux et d'épées selon des témoins, ont incendié un mur extérieur et sont parvenus à pénétrer dans la maison, qu'ils ont saccagée. Une femme de ménage qui s'y trouvait a été agressée et hospitalisée, selon les mêmes sources.

La diffusion le 7 octobre du film d'animation Persepolis par Nessma TV avait suscité la colère des fondamentalistes -- qui ont tenté dimanche dernier de s'attaquer au siège de la chaîne --, mais aussi l'indignation de nombreux Tunisiens musulmans. Ce film contient une séquence où Dieu est représenté, ce que l'islam proscrit.

Nessma a directement mis en cause les islamistes vendredi soir, dénonçant à l'antenne «l'incitation au crime» de certains imams dans leurs prêches et un «double discours» d'Ennahda, accusé d'encourager en sous-main les manifestations contre la chaîne.

Contrer les «barbus»

Samedi, un appel à manifester dimanche à Tunis pour la défense de la laïcité et de la liberté d'expression a été lancé sur les réseaux sociaux, pour contrer les «barbus».

«Nous n'avons pas à répondre à ceux qui n'ont cessé de nous calomnier au lieu de nous juger sur nos actes. (...) On en a fini avec la dictature et on a d'autres moyens de se faire entendre que la violence», a rétorqué Ali Larayedh.

À quelques jours de l'élection d'une assemblée constituante, neuf mois après la révolution qui a emporté le régime honni -- et ennemi des islamistes -- du président Ben Ali, l'affaire Nessma avait suscité la colère des salafistes, mais aussi un malaise dans l'opinion.

Les principaux partis politiques avaient condamné l'attaque contre la chaîne tout en appelant au respect des valeurs de l'islam.

Nabil Karoui avait présenté ses excuses au peuple tunisien pour la diffusion d'images représentant Dieu, sans parvenir à éteindre la colère.

Interrogé sur le sens de cette poussée de fièvre, Ali Larayedh a accusé des «forces de l'ancien régime» et des «extrémistes sans lien avec Ennahda» de tenter de «semer le chaos» et de «nuire à la réputation» du parti, «très populaire». «Le premier parti du pays», a renchéri M. Ghannouchi.

Minoritaires, mais bruyants, les salafistes ont été mis en cause dans plusieurs incidents ces derniers mois (attaque contre un cinéma, intrusion brutale dans une université...).

Leur noyau dur est estimé par les chercheurs à environ 200 en Tunisie. Mais ils disposeraient d'un réservoir de 5000 à 7000 sympathisants.