Des cadavres gisant dans les rues, des hommes armés pourchassant les membres de l'ethnie Nuba: un témoin raconte l'horreur des violences dans l'État soudanais du Kordofan-Sud.

«On rentrait de l'église quand plusieurs soldats ont commencé à crier: "Dégagez, dégagez!"», rapporte Yusuf, un habitant de Kadougli, la capitale de l'État nordiste du Kordofan-Sud. «Au début ils tiraient en l'air mais ensuite il y a eu des tirs avec de l'artillerie. C'est après que la tuerie a commencé».

Yusuf, 40 ans, est un nom d'emprunt. Il a demandé à ne pas être identifié, car il craint des représailles contre sa famille ou ses collègues.

De violents combats entre l'armée régulière nordiste et les anciens rebelles sudistes de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) font rage depuis le 5 juin dans le Kordofan-Sud, à la frontière entre le Nord et le Sud du Soudan, à quelques semaines de l'indépendance du Sud-Soudan le 9 juillet.

Des chefs religieux et des militants des droits de l'Homme affirment qu'il s'agit d'une politique gouvernementale de nettoyage ethnique, visant l'ethnie Nuba qui a combattu aux côtés des rebelles sudistes pendant la guerre civile entre le nord arabo-musulman et le sud africano-chrétien (1983-2005).

Le pouvoir central à Khartoum dément, affirmant vouloir désarmer des miliciens du nord alliés à la SPLA. Mais Yusuf -qui s'est réfugié à Juba, la capitale sudiste, avec sa famille- raconte tout autre chose.

«Si vous étiez à Kadougli, vous auriez pu voir que c'était planifié», affirme-t-il. «Dès que ça a commencé, les forces armées soudanaises disaient: "Allez là-bas, commencez par là, et attaquez". C'était bien organisé à l'avance».

Pour ceux qui font partie de l'ethnie Nuba comme Yusuf, l'explosion de violence rappelle les tueries et les déplacements forcés de la guerre civile.

La population du Kordofan-Sud vit en général dans la bonne entente et Yusuf a de bonnes relations avec son voisin, issu de l'ethnie arabe Baggara.

Mais ce dernier est aussi membre de la Force de défense populaire, une milice redoutée qui fait aujourd'hui partie de l'armée régulière.

«Il m'a dit que la Force avait de nouvelles armes et avait reçu beaucoup de munitions. Il m'a dit que leurs instructions étaient claires: "Éliminer les déchets. Si vous voyez un Nuba, il faut s'en débarrasser"», dit Yusuf.

«Il m'a dit qu'il avait vu deux camions pleins de gens aux mains liées et aux yeux bandés, se dirigeant vers là où des gens creusaient des trous pour des tombes aux abords de la ville».

Après deux jours cachés dans leur maison, Yusuf et sa famille ont décidé de fuir. «On nous a dit que les soldats allaient de maison en maison pour trouver des partisans, alors nous avons compris qu'il fallait partir. Nous n'avons pas pris d'effets personnels, pour avoir l'air de partir nous promener».

«Lorsque nous sommes sortis, il y avait au moins deux cadavres, là, dans la rue, mais les soldats et la police se tenaient là et bavardaient comme si c'était normal».

«Je disais à notre groupe: "Marchez lentement, faites comme si vous n'aviez pas peur, ne courez pas. Si notre heure est arrivée, alors nous mourrons, mais ne les provoquons pas." Je suis sûr qu'ils nous ont laissé la vie sauve parce que je portais un bébé», dit-il.

D'après Yusuf, les traces de combats sont visibles dans la ville, des maisons et des locaux d'agence humanitaires ont été pillés, tandis que des magasins vendant des publications chrétiennes ont été brûlés.

Des tirs ont aussi visé des églises et des bâtiments ont été détruits, selon des informations confirmées par plusieurs sources indépendantes.

Une fois dans leur voiture, Yusuf et sa famille sont passés devant des centaines de personnes déplacées, dont beaucoup étaient rassemblées devant le complexe des soldats de la paix de l'ONU dans l'espoir d'être abritées ou de recevoir de la nourriture.