L'Allemagne, premier exportateur mondial, va envoyer sa marine de guerre protéger les routes maritimes contre les pirates, mais son passé nazi l'oblige à s'entourer de précautions juridiques que certains trouvent absurdes.

Le débat sur les règles d'engagement de la marine contre les pirates qui sévissent au large de la Somalie, «a un air d'Absurdistan», commentait récemment Bernhart Gertz de l'Association de la Bundeswehr, qui fait office de syndicat des militaires.

Berlin a promis de participer, avec l'envoi d'une frégate, à l'opération Atalante que l'Union européenne prépare pour décembre mais elle doit encore confirmer sa décision et définir la marge de manoeuvre de ses militaires.

Il s'agit notamment de savoir si la marine aura le droit d'arrêter des pirates, ou si des policiers doivent être présents sur les navires de guerre pour procéder aux arrestations.

Et certains s'inquiètent déjà d'éventuels procès en Allemagne de pirates qui pourraient en profiter... pour demander l'asile politique.

«L'Allemagne, en tant que première nation exportatrice, doit enfin décider si dans la lutte contre la piraterie elle prend ses devoirs au sérieux», s'insurge Rainer Stinner, spécialiste de la défense au parti libéral FDP.

La marine allemande estime actuellement que ses bâtiments qui croisent déjà dans l'Océan indien ne peuvent légalement intervenir pour aider un navire qu'en flgrant délit -- au moment même de l'abordage par des pirates, mais ni avant, ni après.

Une caricature dans un journal allemand illustrait récemment le dilemme.

«Si vous voulez rendre impuissant un soldat allemand, laissez-le donc passer un coup de fil à son gouvernement», ironisait en sous-titre un dessin montrant un navire de guerre allemand détourné par des pirates somaliens.

Les ministères allemands de la Défense, de l'Intérieur, de la Justice, et des Affaires étrangères poursuivent depuis des semaines un débat de fond sur les aspects juridiques de la participation à la mission européenne.

«Malheureusement il y a beaucoup d'experts juridiques et beaucoup d'opinions différentes», relevait, pince-sans-rire, le ministre de la Défense Franz Josef Jung.

Et d'ajouter: «L'important pour nous est d'agir dans le cadre de notre Constitution. Nous avons besoin d'un mandat européen et de l'accord du parlement» pour participer à cette mission.

L'opposition et même certains sociaux-démocrates, associés au gouvernement, redoutent un mélange des genres entre militaires et policiers, ce qui serait contraire à la Constitution.

«En Allemagne nous sommes particulièrement sensibles aux questions d'intervention militaire, et souhaitons que tout soit fait dans le respect du droit», relève Hans-Heinrich Nöll, responsable de l'Association des armateurs allemands.

«Notre politique est très timorée du fait de notre histoire», marquée par le nazisme et le communisme en Allemagne de l'est, ajoute M. Nöll, qui souhaite que Berlin agisse vite contre les pirates.

La décision officielle de Berlin de participer à l'opération dans le Golfe d'Aden devrait être annoncée le 10 décembre, soit deux jours après son lancement, indique-t-on de source maritime.

Selon M. Jung, «plus de 1.000 militaires» allemands participeront à la mission. Outre l'équipage de la frégate, «les militaires seront en priorité embarqués sur les navires chargés de l'aide alimentaire», selon le porte-parole du ministère de la défense, le capitaine Christian Dienst.

Les marines de plusieurs pays escortent déjà les cargos de vivres du Programme alimentaire mondial de l'ONU, vitale pour 3,2 millions de Somaliens après 17 ans de guerre civile.