(Washington) Deux ans après l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et au terme de tractations diplomatiques poussées avec les dirigeants iraniens, l’administration du président américain a obtenu un premier accord avec Téhéran : la libération de cinq Américains détenus.

Cet arrangement fragile témoigne d’un apaisement des tensions entre ces deux adversaires de longue date sans toutefois laisser entrevoir un nouvel accord sur le programme nucléaire iranien, estiment experts et diplomates.

« Je pense que les deux parties ont intérêt à utiliser cet arrangement initial pour renouer le dialogue, mais pas forcément pour arriver à un accord », souligne Ali Vaez, spécialiste de l’Iran au sein de l’organisation International Crisis Group.

L’an dernier, des négociations menées par les Européens ont échoué à raviver l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, moribond depuis le retrait unilatéral des États-Unis en 2018, sous la présidence de Donald Trump. En décembre, Joe Biden a même jugé que l’accord était « mort ».

Sanctions

Selon une source proche des négociations, l’accord sur les prisonniers est totalement distinct de la question nucléaire.  

Les tractations sur les prisonniers ont toutefois permis de réchauffer les relations avec l’Iran, ajoute cette source, notant par exemple le maintien de la trêve d’avril 2022 au Yémen, où les rebelles houthis sont proches de Téhéran.  

Les attaques contre les troupes américaines en Irak par des milices chiites liées à l’Iran semblent aussi se faire plus rares, renchérit un diplomate d’un pays allié des États-Unis.  

« Les tensions sont toujours très présentes mais les deux gouvernements communiquent et ça fait la différence », analyse-t-il.

Des responsables américains et iraniens ont repris leurs efforts diplomatiques en mai, lors de réunions indirectes organisées par le sultanat d’Oman. Selon des diplomates, certaines discussions portaient sur des mesures visant à limiter le programme nucléaire de l’Iran, sans pour autant rétablir pleinement l’ancien accord.

« Le contexte de désescalade est bien en place », considère Ali Vaez. Mais cet analyste doute que Joe Biden, candidat à sa réélection en 2024, se hâte à conclure un nouvel accord nucléaire alors que l’élection arrive à grands pas.

« Tout accord significatif avec l’Iran requiert un allégement important des sanctions, ce qui sera très critiqué aux États-Unis », ajoute-t-il.

« Du côté iranien, étant donné la proximité des élections américaines, renoncer à la plupart de leurs moyens de pression sans savoir qui sera le prochain président américain n’a guère de sens, d’un point de vue stratégique », précise M. Vaez.

Donald Trump, dont l’administration s’était retirée de l’entente sur le nucléaire, ou tout autre candidat républicain, se débarrasseraient probablement d’un nouvel accord sitôt élu.  

Six milliards

Celui sur les prisonniers a déjà été fermement critiqué par les milieux conservateurs américains, qui accusent Joe Biden d’enrichir un régime hostile aux États-Unis.

D’après les termes de l’entente, qui restent provisoires selon les responsables américains, la Corée du Sud pourrait transférer six milliards de dollars de fonds iraniens gelés vers un compte spécial au Qatar. L’Iran pourrait ensuite utiliser ces sommes pour des achats humanitaires tels que des denrées alimentaires et des médicaments.

En contrepartie, Téhéran a placé cinq Américains, jusque-là détenus en Iran, en résidence surveillée, première étape de l’accord visant à terme leur libération complète.

Pour Holly Dagres, analyste du groupe de réflexion Atlantic Council, cet arrangement constitue « une mesure qui renforce la confiance et pourrait raviver les discussions sur le programme nucléaire iranien ».

Mais cela prouve aussi à Téhéran que « sa politique de prise d’otages » lui permet d’obtenir des gains, « ce qui pourrait pousser les autorités à maintenir le statu quo », estime cette analyste qui s’interroge sur le moment choisi de l’accord.

L’Iran a été secoué pendant plusieurs mois par des manifestations sans précédent déclenchées par le décès en septembre 2022 de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict imposé aux femmes.  

Pour Téhéran, « parvenir à un accord avec les États-Unis à une période si sensible revient à dire aux protestataires que Washington ne se soucie guère de votre sort », souligne-t-elle.