Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a rencontré son homologue chinois, samedi soir à Munich. À l’occasion d’un face-à-face qui s’est tenu sous le signe de l’affrontement, selon les responsables américains, M. Blinken a averti son vis-à-vis : le vol d’un ballon de surveillance chinois au-dessus des États-Unis « ne doit plus jamais se reproduire ».

Le chef de la diplomatie américaine a également mis en garde Pékin contre la fourniture d’un « soutien matériel » à la guerre de la Russie en Ukraine, laissant par la suite entendre que la Chine envisageait désormais « fortement » cette possibilité.

La description américaine de la réunion, qui a permis de renouer les contacts diplomatiques entre Washington et Pékin après leur rupture due à l’épisode des ballons, ne dit rien de la réaction du responsable chinois, Wang Yi. Mais un bref résumé par les médias d’État officiels chinois décrit un échange tout aussi vif.

Selon ce compte rendu, M. Wang a déclaré qu’il appartenait aux États-Unis de « réparer les dommages causés par leur usage excessif de la force » lorsqu’ils ont abattu le grand ballon au large de la Caroline du Sud.

Relations au plus bas

Les deux descriptions suggèrent que Washington et Pékin se retranchent, deux semaines après l’épisode. Les responsables américains avaient clairement espéré trouver une solution qui permettrait à M. Blinken de reprogrammer sa visite en Chine, la première depuis des années pour un secrétaire d’État américain, qu’il avait brusquement annulée alors que le ballon dérivait du Montana vers la côte Est.

PHOTO PETR DAVID JOSEK, ASSOCIATED PRESS

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, lors d’un panel de la Conférence de Munich sur la sécurité

Il est à noter qu’aucun des deux pays n’a parlé de chercher une nouvelle date pour le voyage de M. Blinken.

M. Blinken a également déclaré à la chaîne NBC qu’il avait parlé « très clairement et très directement » à M. Wang de l’incident du ballon et qu’il n’y avait eu « aucune excuse » de la part de son homologue chinois au cours de la réunion.

Cet incident a rappelé une fois de plus que les relations sino-américaines ont atteint leur point le plus bas depuis que Richard Nixon a ouvert un canal de communication avec les dirigeants chinois, il y a un demi-siècle.

Bien que le président américain Joe Biden dise souvent aspirer à une relation dans laquelle les deux pays sont en compétition vigoureuse sans être en conflit, de nombreuses personnes présentes à la Conférence de Munich sur la sécurité – une réunion annuelle de diplomates, de responsables du renseignement et de législateurs – ont déploré que l’épisode du ballon ait montré l’incapacité des deux pays à désamorcer la situation, même si aucune vie n’a été perdue.

Une réaction « absurde et hystérique », accuse la Chine

Quelques heures avant sa rencontre avec M. Blinken, M. Wang s’est présenté devant la Conférence de Munich et, à la stupéfaction de nombreux responsables occidentaux, a réitéré l’affirmation de la Chine selon laquelle le ballon était un engin de recherche « civil » détourné de sa trajectoire par des vents violents, qualifiant d’« absurde et hystérique » la décision des États-Unis de l’abattre. Il a également accusé les États-Unis d’un « abus de l’usage de la force ».

Dans une description du message de M. Blinken à M. Wang, le département d’État américain, qui utilise l’abréviation du nom de la République populaire de Chine, a déclaré que les États-Unis « ne toléreront aucune violation de [leur] souveraineté et que le programme de surveillance à haute altitude de la RPC, qui a empiété sur l’espace aérien de plus de 40 pays sur 5 continents, a été exposé au monde entier ».

PHOTO FOURNIE PAR LA MARINE AMÉRICAINE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des membres de la marine américaine récupèrent les débris du ballon chinois abattu au large de la Caroline du Sud au début du mois.

La marine et les gardes-côtes américains ont depuis récupéré une grande partie de l’équipement du ballon – contenu dans une charge utile de la taille d’un petit avion de ligne régional – et les responsables américains ont déclaré qu’ils avaient l’intention de rendre publics les détails des capteurs qu’ils ont trouvés.

Les responsables américains ont déjà déclaré que l’équipement de surveillance de l’engin était visible, ce qui contredit les affirmations de la Chine selon lesquelles il s’agissait d’un ballon météorologique.

M. Blinken a averti à nouveau la Chine de ne pas soutenir l’effort de guerre de la Russie en Ukraine, notamment en fournissant des images satellites à la milice privée russe Wagner et des appareils électroniques susceptibles d’aider la Russie à construire du matériel militaire.

Dans un entretien à l’émission Meet the Press de NBC, qui a été enregistré samedi soir pour être diffusé ce dimanche, M. Blinken a déclaré que les États-Unis allaient bientôt fournir de nouvelles informations démontrant que Pékin « envisageait fortement de fournir une assistance létale à la Russie ».

« La mentalité de guerre froide est de retour »

Bien que le département d’État ait cherché à dépeindre le ton de M. Blinken comme dur, sa déclaration officielle sur la réunion a indiqué qu’il avait souligné à M. Wang « l’importance de maintenir un dialogue diplomatique et des lignes de communication ouvertes à tout moment », et que les États-Unis « ne [veulent] pas de conflit avec la RPC et ne cherch[ent] pas une nouvelle guerre froide ».

Cette phrase était particulièrement remarquable étant donné que M. Wang avait déclaré, lors d’une précédente intervention samedi à la Conférence de Munich, que « la mentalité de guerre froide est de retour » dans les affaires mondiales.

La réunion de samedi soir a eu lieu deux semaines après que M. Blinken a brusquement annulé un voyage prévu de longue date à Pékin, qui devait permettre d’apaiser les relations entre les États-Unis et la Chine, qui se sont envenimées ces dernières années, certains analystes s’inquiétant du potentiel croissant d’un futur conflit militaire.

Passer outre l’incident

L’annulation du voyage et la guerre de mots qui s’en est suivie ont fait reculer les relations entre les deux pays. Après que M. Biden a ordonné l’abattage du ballon, la Chine a rejeté la demande du secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, de s’entretenir avec son homologue chinois – un développement que les responsables américains ont qualifié de troublant.

La Chine a d’abord adopté un ton contrit au sujet du ballon, affirmant qu’il s’agissait d’un engin météorologique qui avait dévié de sa route. Mais dans les jours qui ont suivi, notamment lorsque l’armée américaine a identifié et abattu trois autres objets qu’elle admet maintenant être des engins probablement inoffensifs, le ton de Pékin s’est durci.

M. Wang a qualifié la réaction des États-Unis d’effort pour « détourner l’attention de leurs problèmes intérieurs » et a déclaré que l’abattage du ballon était « à 100 % un abus de l’usage de la force », ajoutant que les États-Unis avaient violé une convention internationale régissant l’espace aérien.

Malgré la rhétorique acerbe, dit Danny Russel, vice-président de l’Asia Society Policy Institute, un organisme de recherche indépendant, « le fait que la réunion ait eu lieu et que les deux parties puissent prétendre avoir fait valoir leurs arguments sur le ballon-espion peut aider les deux parties à mettre l’incident derrière elles et à passer à la reprogrammation du voyage de Blinken à Pékin – où le vrai travail doit être fait ».

Ce texte a initialement été publié dans le New York Times

Lisez l’article original du New York Times (en anglais, abonnement requis)