La venue possible à Taiwan de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, provoque des mises en garde musclées de la Chine.

Un porte-parole du géant asiatique est revenu sur le sujet mercredi en prévenant l’administration américaine qu’elle ferait face à des « mesures fermes » et devrait « assumer toutes les conséquences » si la politicienne allait de l’avant.

La veille, l’armée chinoise avait lancé une mise en garde de même acabit alors que les médias étatiques du pays évoquent en boucle des actions militaires potentielles.

Le Global Times, qui agit comme porte-voix pour le régime, a notamment souligné que des avions de chasse chinois pourraient être déployés pour « accompagner l’avion » de Mme Pelosi si elle s’aventure à Taiwan.

Mesures additionnelles

Pékin évoque aussi la possibilité d’imposer en guise de représailles une zone d’exclusion aérienne au-dessus de Taiwan, que la Chine considère comme faisant partie intégrante de son territoire.

PHOTO SELIM CHTAYTI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Xi Jinping, président de la Chine

Bien que les États-Unis ne reconnaissent pas formellement Taiwan comme un pays à part entière, ils soutiennent son gouvernement et il est généralement compris qu’ils interviendraient militairement si le régime communiste tentait d’annexer le territoire par la force.

Le régime chinois s’oppose depuis des décennies à toute relation formelle entre Washington et Taipei et voit dans la visite potentielle de Mme Pelosi un encouragement aux revendications indépendantistes des dirigeants taïwanais.

Plusieurs sénateurs américains ont visité l’île dans les dernières années, mais aucun élu occupant le poste de président de la Chambre des représentants, troisième poste en importance dans la hiérarchie politique à Washington, ne l’a fait depuis 25 ans.

Ambiguë

Mme Pelosi n’a pas confirmé qu’elle entendait visiter Taiwan en août comme l’a écrit le Financial Times, mais elle ne l’a pas démenti non plus, insistant sur la nécessité de soutenir l’île face à Pékin.

Le président démocrate Joe Biden, qui doit s’entretenir jeudi par téléphone avec son homologue chinois Xi Jinping de plusieurs dossiers, a déclaré que le Pentagone considérait le voyage projeté comme une « mauvaise idée ».

Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada à Pékin, note qu’il n’est pas rare que la Chine hausse le ton relativement aux échanges entre Taiwan et les États-Unis.

Il faut toutefois se garder de minimiser la situation puisque le potentiel d’escalade est réel, relève l’ancien diplomate.

Une visite de Nancy Pelosi en août serait perçue comme un affront par le président chinois, qui entend se voir confier un troisième mandat à la tête du pays lors du Congrès national du Parti communiste prévu à l’automne.

Les ratés dans la gestion de la pandémie de COVID-19 ainsi que les difficultés économiques du pays, aux prises avec une importante crise immobilière, ont « réduit sa marge de manœuvre » et augmentent la possibilité, note M. Saint-Jacques, qu’il soit tenté par un « coup d’éclat militaire ».

Xi Jinping ne peut pas se permettre d’avoir l’air faible devant les États-Unis.

Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada à Pékin

Kharis Templeman, spécialiste des relations sino-américaines rattaché à l’Université Stanford, pense que la situation actuelle est « inquiétante » même si aucun des deux pays ne veut d’un conflit d’envergure à ce stade.

Les interventions publiques liées à la visite de Mme Pelosi signifient que ni la Chine ni les États-Unis ne voudront donner l’impression de « faire marche arrière ».

« Quelqu’un devra payer le prix, mais je ne sais pas qui ce sera », dit-il.

S’armer de prudence

L’imposition d’une zone d’exclusion aérienne sur Taiwan par Pékin ou l’« accompagnement » de l’avion de Mme Pelosi semble peu réaliste, mais on ne peut exclure, note le chercheur, que la Chine décide de lancer des manœuvres militaires à proximité de l’île pour protester contre la visite.

On pourrait même assister, dit M. Saint-Jacques, à des tirs de missiles d’avertissement comme ce fut le cas lors d’une crise d’importance en 1995.

Quoi qu’il arrive, relève M. Templeman, Xi Jinping voudra éviter tout embrasement d’envergure pour limiter les critiques internes avant le Congrès national et faciliter la nomination de protégés à des postes clés.

Mike Chinoy, du U.S.– China Institute, s’inquiète aussi de la visite projetée de Mme Pelosi dans un article paru cette semaine dans Foreign Policy.

L’analyste, un ancien journaliste de CNN, relate qu’il avait été brièvement appréhendé avec des collègues il y a 30 ans après que Mme Pelosi eut brandi de façon inattendue une affiche dénonçant le massacre de Tiananmen lors d’une visite officielle à Pékin.

Sa visite à Taipei, si elle se concrétise, représenterait une « provocation » d’une tout autre ampleur à un « moment beaucoup plus dangereux » en raison de la détérioration des relations entre la Chine et les États-Unis, prévient M. Chinoy, qui ne voit pas l’opportunité de mener une telle action sans coordination apparente avec l’administration de Joe Biden.

Le voyage projeté est plus riche en symbolisme qu’en substance et vise d’abord à permettre à la politicienne de narguer Pékin « comme elle l’a déjà fait par le passé », conclut-il.