Un ressortissant haïtien accusé d’avoir recruté le commando qui a assassiné le président Jovenel Moïse est l’ancien vice-président d’un organisme québécois d’aide internationale, qui ne cachait pas ses propres ambitions politiques dans ses discussions avec ses partenaires au Canada, a appris La Presse.

Les autorités haïtiennes ont annoncé dimanche soir avoir arrêté à Port-au-Prince un certain Christian Emmanuel Sanon, citoyen haïtien de 63 ans qui vivait en Floride la plupart du temps. « C’est un individu qui est entré en Haïti à bord d’un avion privé avec des objectifs politiques », a indiqué Léon Charles, directeur de la police nationale haïtienne.

Au cours d’un point de presse en présence de plusieurs ministres, le directeur Charles a indiqué que M. Sanon était entré en Haïti en juin avec plusieurs ressortissants colombiens chargés d’assurer sa sécurité.

« La mission a ensuite changé », a expliqué Léon Charles.

« La mission était de procéder à l’arrestation du président de la République, et l’opération a été montée à partir de là : 22 autres individus sont alors entrés en Haïti », a-t-il ajouté, laissant entendre que l’opération était liée aux ambitions politiques personnelles de M. Sanon. Le quotidien Miami Herald a d’ailleurs cité une source qui a parlé à deux des suspects, selon laquelle le but était d’installer Christian Emmanuel Sanon comme nouveau président.

SAISIE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

Christian Emmanuel Sanon, ancien vice-président d’un organisme québécois d’aide internationale

La police confirme que les interrogatoires réalisés auprès des 18 citoyens colombiens arrêtés depuis mercredi ont permis à la police haïtienne d’apprendre que Christian Emmanuel Sanon avait recruté les 26 membres du commando par l’entremise d’une entreprise vénézuélienne de sécurité nommée CTU, établie en Floride.

« Quand nous avons, nous, police, bloqué la progression de ces bandits après qu’ils aient commis leur crime, la première personne qu’un des assaillants a appelée, c’est Christian Emmanuel Sanon. Il a, lui, pris contact avec deux autres personnes que nous considérons comme auteurs intellectuels de l’assassinat du président Jovenel Moïse », a indiqué Léon Charles, sans donner plus d’informations sur l’identité de ces deux autres suspects.

Une fouille dans une résidence liée à M. Sanon dans la région de la capitale haïtienne aurait permis de trouver une cache de munitions, plusieurs plaques d’immatriculation dominicaines et une casquette à l’effigie de la Drug Enforcement Administration (DEA), l’agence américaine antidrogue. Or, au début de l’attaque à la résidence du président, les assaillants auraient crié qu’ils étaient de la DEA, pour faciliter leur entrée sur place.

Intéressé par la politique

Christian Emmanuel Sanon, qui se faisait appeler « docteur », a géré plusieurs entreprises liées au secteur de la santé en Haïti et aux États-Unis. Il a aussi déjà agi comme vice-président d’un organisme d’aide internationale québécois fondé à Laval en 2018 et baptisé d’abord UNIHA, puis FEDICCHA à partir de 2019 (pour Fédération diaspora et citoyens concernés d’Haïti).

« Il était un des membres fondateurs. On m’avait référé à lui concernant un projet d’université et d’hôpital à développer dans la région de Petit-Goâve. Il avait un plan pour un hôpital lui-même, mais pour une raison ou une autre, ça n’avait pas réussi », affirme Rémy Joshua Césaire, résidant de Laval qui avait fondé l’organisme avec plusieurs partenaires dans la région du Grand Montréal.

M. Césaire affirme que M. Sanon passait le plus clair de son temps en Floride, mais qu’il était venu à Montréal une fois pour une rencontre liée au projet.

Il est quelqu’un qui s’intéressait vraiment au développement d’Haïti, il travaillait dans la politique. Je pense qu’il y avait un parti politique en Haïti qui voulait qu’il devienne son candidat aux élections, pour la présidence.

Rémy Joshua Césaire, résidant de Laval et cofondateur de l’organisme d’aide internationale

Le projet d’hôpital et d’université imaginé par l’organisme québécois n’avait jamais décollé, même avec l’aide de M. Sanon. Rémy Joshua Césaire affirme que « la corruption » avait mis des bâtons dans les roues de l’organisme. Il aurait fallu payer de fortes sommes pour faire avancer les choses, croit-il. « Je ne pouvais pas encourager ce genre de pratiques, ce n’est pas dans ma nature de m’impliquer dans des choses pareilles », dit-il.

Il affirme aussi que M. Sanon se plaignait que la corruption l’empêchait de développer ses projets commerciaux en Haïti.

M. Césaire dit avoir eu connaissance que M. Sanon s’était rendu en Haïti récemment, mais il ajoute avoir été incapable de le joindre depuis trois semaines.

Aucune des allégations de la police haïtienne contre M. Sanon n’a été testée devant les tribunaux. M. Sanon, qui est maintenant détenu, n’a pu donner sa version des faits publiquement.

Délégation américaine en visite

Des membres du FBI, du département d’État, du département américain de la Justice et du département de la Sécurité intérieure des États-Unis sont arrivés en Haïti dimanche et ont rencontré le directeur général de la police nationale pour discuter de l’aide qui pourrait être fournie aux autorités locales.

PHOTO VALERIE BAERISWYL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre Claude Joseph, en conférence de presse dimanche. Il est l’un des trois politiciens à se prétendre légitime pour assurer le pouvoir par intérim d’Haïti.

L’assassinat du président a aggravé la crise institutionnelle dans laquelle Haïti était déjà plongée depuis des mois et qui amène aujourd’hui trois politiciens à se prétendre légitimes pour assurer le pouvoir par intérim.

Quatre jours après l’assassinat du chef de l’État, un calme précaire perdure en Haïti compte tenu des zones d’ombre qui entourent ce meurtre commis dans la chambre de Jovenel Moïse, dans sa résidence privée pourtant sous haute surveillance.

Aucun policier haïtien n’a été blessé au cours des opérations pour appréhender les présumés mercenaires colombiens, dont trois ont été tués. 

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press