(Genève) La fiancée turque du journaliste et dissident saoudien assassiné Jamal Khashoggi a estimé mardi que les États-Unis avaient la responsabilité « éthique » de réclamer l’ouverture d’une enquête internationale sur ce meurtre « prémédité » dans lequel seraient impliqués de hauts responsables saoudiens.

M. Khashoggi, qui travaillait pour le Washington Post et résidait aux États-Unis, a été tué le 2 octobre 2018 par des agents saoudiens à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite d’Istanbul où il était venu chercher des documents en vue de son mariage avec sa fiancée, Hatice Cengiz.

Lors d’une interview chargée d’émotion avec l’AFP en marge de la réunion du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, cette chercheuse de 36 ans a raconté le désespoir croissant qui s’est emparé d’elle alors qu’elle attendait devant le consulat que son futur mari ressorte du bâtiment.  

« Au début, je pensais que peut-être il lui était arrivé quelque chose, mais je n’ai pas un instant pensé à ça », a-t-elle dit avec l’aide d’une traductrice. « Peut-être qu’il avait été arrêté, peut-être qu’on l’interrogeait. Je n’ai jamais envisagé la possibilité d’un meurtre ».

Incapable de retenir ses larmes qui coulaient sur ses joues jusque dans son hijab de soie, elle a avoué que pendant des mois, elle s’est accrochée à l’espoir que l’homme qu’elle aimait « pouvait être encore en vie », puisque son corps n’avait pas été retrouvé.  

« Massacré »

Mais elle a dû se résigner à accepter la vérité : « il a été brutalement tué et massacré ».  

Son témoignage survient après la publication la semaine dernière par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, d’un rapport accablant contre l’Arabie saoudite, qui parle de « preuves crédibles » justifiant l’ouverture d’une enquête sur les liens du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane avec ce crime.

L’experte française, qui ne s’exprime pas au nom de l’ONU, a appelé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à lancer une telle enquête.  

Le porte-parole du chef de l’ONU, Stéphane Dujarric, a toutefois répondu que le secrétaire général « n’a pas le pouvoir ou l’autorité de lancer une enquête criminelle sans un mandat d’un organe intergouvernemental compétent ».  

Pour Hatice Cengiz, il est évident que le pays qui a accueilli son fiancé a le devoir d’aider à ce que les responsables de ce meurtre soient punis.  

« Sur un plan politique et éthique, les États-Unis est le pays qui (a la responsabilité) de réclamer une enquête internationale », a-t-elle dit à l’AFP en dénonçant l’attitude très discrète de Washington jusqu’ici.

Elle a vivement critiqué la « façon floue » dont le président Donald Trump et son secrétaire d’État Mike Pompeo se sont exprimés sur ce meurtre, privilégiant les relations commerciales juteuses avec Riyad plutôt que la justice.

« Cette attitude est très dangereuse », a-t-elle jugé. « Cela donne un mauvais exemple au reste du monde. »

« Je crois que l’Arabie saoudite doit payer pour ça et que les suspects doivent être condamnés. Sinon, nous allons vivre dans un monde où seul l’argent compte. »

Mme Cengiz a remercié la Turquie d’avoir révélé le meurtre de son fiancé, mais pense que ce n’est pas juste de demander à Ankara de réclamer une enquête internationale, car « Jamal ne vivait pas en Turquie ».  

Après avoir dans un premier temps nié le meurtre, Riyad avait avancé plusieurs versions contradictoires et soutient désormais que le journaliste a été tué lors d’une opération d’agents non autorisée par le pouvoir. La justice saoudienne a innocenté le prince héritier et inculpé 11 personnes, réclamant la peine de mort contre cinq d’entre elles.