Dénonçant « l'imagination macabre sans limite » des terroristes, le premier ministre Manuel Valls a appelé la France à se préparer à toute éventualité après les attentats de Paris,  y compris à celle d'attentats chimiques et bactériologiques. Rien n'indique toutefois que la menace soit imminente, tempère Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques et biologiques. Nous l'avons joint à Paris.

Lors d'un discours à l'Assemblée nationale, hier matin, Manuel Valls a évoqué le risque d'attentats terroristes à l'arme chimique ou bactériologique. Doit-on craindre une prochaine étape dans l'horreur ?

Il faut rester calme. Les informations dont je dispose en provenance des services de renseignements ne laissent pas penser que ce type d'attentat est en préparation.

En revanche, plusieurs événements survenus ces derniers temps suscitent l'inquiétude. Le premier : la confirmation, par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), que Daech [le groupe État islamique] a bien utilisé du gaz moutarde en Syrie. Cela inquiète les services de renseignements occidentaux.

Et puis, le lendemain des attentats de Paris, le ministère de la Santé a publié un arrêté autorisant la livraison aux services médicaux d'urgence de sulfate d'atropine, le traitement indiqué en cas de contamination neurotoxique. Cet arrêté était dans les filières administratives depuis des mois, mais la coïncidence a fait croire à tout le monde que le gouvernement avait des informations sur un éventuel attentat chimique. Avec la sortie surprenante de Manuel Valls, cela a conduit à une espèce de psychose. Le risque existe, mais la menace est relativement faible.

Selon des membres des services de renseignements irakiens, cités hier par l'Associated Press, le groupe État islamique tenterait activement d'acquérir des armes chimiques et biologiques. Pourquoi le risque demeure-t-il faible malgré tout ?

Il faut garder en tête qu'organiser un attentat chimique, c'est beaucoup plus compliqué que de préparer un attentat conventionnel, avec des explosifs et des kalachnikovs. Les barrières techniques sont plus difficiles à lever. D'abord, il faut fabriquer un agent chimique. Un agent neurotoxique, ça ne se fabrique pas dans un garage, il faut des compétences extrêmement pointues, c'est très dangereux à fabriquer. Ensuite, il ne suffit pas d'avoir un agent chimique ; il faut le militariser, c'est-à-dire qu'il faut le coupler à un mode de dissémination, soit un explosif, soit un système mécanique d'aérosolisation. C'est donc beaucoup plus compliqué que de fabriquer une bombe conventionnelle, et c'est la raison pour laquelle ce genre d'événements est assez rare.

En 1995, la secte Aum a tout de même réussi à perpétrer un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, qui avait fait 12 morts...

Oui, et cela avait été une immense surprise parce que pour la première fois, une entité subétatique avait réussi à fabriquer un organophosphoré. Mais ç'a été l'unique fois, et dans des conditions particulières. La secte comptait des chimistes de très haut vol parmi ses membres. Elle avait des moyens financiers importants et se trouvait au Japon, où il était relativement facile de trouver de l'équipement, ce qui n'est pas le cas du fin fond de la Syrie ou de l'Irak.

Donc, l'OIAC a confirmé que le groupe État islamique avait utilisé du gaz moutarde en Syrie. Cela le rend-il plus menaçant ?

C'est vrai, il est inquiétant de savoir que Daech a mis la main sur des armes chimiques, mais encore une fois, ces armes sont très compliquées à militariser. L'hypothèse la plus probable, c'est qu'il s'agisse de stock résiduel syrien, bien que les services américains pensent que Daech ait pu réussir à fabriquer du gaz moutarde par lui-même. Ce gaz moutarde est cependant des milliers de fois moins toxique qu'un gaz neurotoxique comme le sarin.

Bien que l'arrêté autorisant la distribution de sulfate d'atropine n'ait absolument rien à voir avec les attentats de Paris, ne suggère-t-il pas que le gouvernement français se prépare à des attentats chimiques sur son sol ?

Cet arrêté a été publié en préparation de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP21, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre à Paris). Il est effectivement destiné à doter les hôpitaux d'un moyen de défense et de protection contre les attentats chimiques.

Cela dit, dans le cadre de la COP21, le gouvernement se doit d'assurer la sécurité des 400 délégués qui se rendront à Paris. Il se prépare à tout : terrorisme conventionnel, chimique, biologique ou nucléaire. Il a fait des plans pour chaque éventualité. Ce serait une erreur de faire un lien avec les attentats de vendredi.

Il est évident qu'il faut se préparer à ce type d'événement, mais il n'y a pas de risque immédiat. Le premier ministre a raison, mais ce n'était peut-être pas le moment d'en parler.