Toutes les 10 secondes, une jeune fille de moins de 12 ans est victime de mutilation génitale sur la planète. Un geste tabou dont les conséquences dépassent largement le spectre de la sexualité, pour s’attaquer au bien-être, à la santé, même à l’intégrité de la femme mutilée. Un documentaire d’une rare intimité fait le point.

C’est une incursion inédite au sein du vécu d’une poignée de femmes canadiennes que nous propose Koromousso, présenté ces jours-ci dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM). Coréalisé par Habibata Ouarme et son conjoint, mentor et cinéaste établi Jim Donovan, le film propose un voyage entre le Québec et la Côte d’Ivoire, où une « petite sœur » de 43 ans, Safiata de son prénom, s’envole avec la réalisatrice pour recevoir une bienheureuse opération de reconstruction.

En toile de fond, la position ambiguë du Canada, où l’on interdit certes la pratique de l’excision, mais où la chirurgie réparatrice est sinon inexistante, du moins difficilement accessible. Assurément méconnue.

« L’idée, à la base, c’est vraiment de sortir les femmes de la victimisation et de permettre de créer un processus de guérison », résume Habibata Ouarme, interrogée la semaine dernière, tout juste après le lancement de son film au Maroc, où il a visiblement brassé les esprits. Et c’est voulu. « Il y a un débat, illustre-t-elle. Et il faut le faire. »

Comme cela touche principalement les femmes de couleur et les femmes immigrantes, on dirait qu’ici, ça n’est pas une priorité.

Jim Donovan, coréalisateur

Jim Donovan ne cache pas souhaiter franchement faire bouger les choses.

Koromousso signifie « grande sœur » en Côte d’Ivoire. Et si les grandes sœurs veillent sur les plus jeunes, si l’on dit que cela prend un village pour élever un enfant, « cela prend aussi des Koromousso pour faire un village », dit-on dans le film. Cela prend sans doute aussi une Koromousso pour accompagner sa « sœur » à une importante opération comme celle-là…

Un reliquat du « patriarcat »

Telle une invitation à multiplier ainsi les « grandes sœurs », ici comme ailleurs (et il va en falloir un paquet, quand on sait que selon l’UNICEF, plus de 200 millions de femmes de 15 à 49 ans issues de 31 pays ont subi une mutilation génitale féminine), le film propose un exercice unique de partage, d’échange et de libération de la parole, entre femmes, sur le sujet, comme on en entend rarement. « Il n’y a rien qui explique que tu coupes le clitoris d’une femme », « je veux mon morceau qui me manque », « je veux le vivre, je veux le sentir », « je veux expérimenter cette femme sensible dont les gens parlent ! ».

Si le film tente une explication de cette pratique aussi vieille que barbare, aux racines ancestrales et religieuses, Habibata Ouarme y voit surtout un reliquat du « patriarcat ».

PHOTO FOURNIE PAR L’ONF

Habibata Ouarme, coréalisatrice

C’est complexe comme sujet, parce que cela touche à la sexualité, qui est taboue dans beaucoup de sociétés, mais aussi au contrôle du corps de la femme, et des problèmes de santé des femmes en général.

Habibata Ouarme, coréalisatrice

Sans parler de tous les contrecoups psychologiques qui y sont associés : « tu te sens inférieure », « diminuée », dira la fameuse Safiata, que l’on suit ici jusque dans la salle d’opération, dans un moment de grande émotion, comparé ici à une « renaissance » et un geste de « rébellion ».

Son sourire à la sortie est infini, impayable, même si des semaines de convalescence l’attendent. « Je suis une femme complète […], avec tous mes morceaux. »

Si certaines scènes sont difficiles à regarder (notamment certains souvenirs rapportés, des cris et des odeurs, et autant de traumas), d’autres vous arracheront quelques fous rires. Le pouvoir de la solidarité est sans limites, il faut croire. D’ailleurs, même si l’on sait que les traditions ont la vie dure, la réalisatrice garde espoir.

« Absolument, répond-elle sans hésiter. On utilise beaucoup les réseaux sociaux aujourd’hui et le message passe bien. L’information se partage très vite. Les gens échangent et les jeunes embarquent dans les débats. On sent un changement qui arrive. C’est long, amener un changement dans la communauté, c’est difficile, mais j’ai espoir. » À voir.

Ce mardi, 20 h 30, au Cinéma du Musée (avec sous-titres français)

Mercredi, 15 h 15, au Cinéma du Parc (avec sous-titre anglais)

Consultez la page des projections dans le cadre des RIDM

Offert gratuitement en ligne dès le 25 novembre sur le site de l’ONF