(Cannes) Juliette Binoche et Benoît Magimel se sont retrouvés après 20 ans d’absence pour La passion de Dodin Bouffant, un film d’amour sur fond de gastronomie française à l’ancienne, qui a mis tout le monde en appétit.

Révélé à Cannes il y a 30 ans grâce à L’odeur de la papaye verte, long métrage lauréat de la Caméra d’or (attribuée au meilleur premier long métrage, toutes sections confondues), Tran Anh Hùng s’est distingué mercredi en présentant un film appétissant (c’est le moins qu’on puisse dire !), inspiré d’un personnage fictif inventé par l’écrivain franco-suisse Marcel Rouff il y a un siècle.

Un peu à la façon du Festin de Babette, drame de Gabriel Axel ayant marqué le cinéma international des années 1980, le cinéaste franco-vietnamien place la gastronomie au cœur de son récit. Les 20 ou 30 premières minutes de La passion de Dodin Bouffant sont d’ailleurs consacrées à la préparation d’un somptueux repas – on pense que des dizaines de convives sont attendus tellement il y a de choses, mais ils ne seront finalement que cinq autour de la table –, où Eugénie Chatagne (Juliette Binoche) a l’occasion de faire valoir son immense talent.

Un antépisode du livre…

En s’inspirant d’un roman que Marcel Rouff a publié en 1924, intitulé La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, qui commence avec la mort de l’un des personnages, Tran Anh Hùng a eu l’heureuse idée d’imaginer ce qui s’est passé avant ce drame. Réunissant Juliette Binoche et Benoît Magimel sur un plateau de cinéma, deux acteurs qui ne s’étaient pas donné la réplique depuis 20 ans, le cinéaste évoque aussi une relation particulière entre deux êtres vivant sous le même toit depuis deux décennies. Le fait que les deux vedettes aient déjà formé un « vrai » couple dans la vie ajoute forcément des accents de vérité à l’affaire, du moins, dans l’esprit du spectateur.

PHOTO CAROLE BETHUEL, FOURNIE PAR GAUMONT

Juliette Binoche et Benoît Magimel dans La passion de Dodin Bouffant, un film de Tran Anh Hùng

Au-delà des recettes et des techniques de cuisson (on pense souvent à la célèbre émission française La cuisine des mousquetaires), se situe l’autre aspect intéressant de ce long métrage. La cuisinière et le gastronome sont si complices sur le plan culinaire qu’ils en développent des sentiments.

Il a déjà été question de mariage entre les deux, mais Eugénie a toujours résisté. La délicatesse avec laquelle Tran Anh Hùng raconte la nature de ce lien entre deux êtres ayant atteint un âge plus mûr est belle à voir. Les deux acteurs, dont on dit qu’ils excellent tous deux en cuisine, sont crédibles de bout en bout et offrent de superbes compositions.

Il convient de souligner que Pierre Gagnaire, chef triplement étoilé, a agi à titre de consultant. Après Club Zero, de Jessica Hausner, et sa secte préconisant une absence totale de nourriture, voilà tout un contraste. Tout est ici magnifiquement filmé, sublimement éclairé. La fluidité de la mise en scène, qui comporte plusieurs plans séquences, contribue également à la réussite de l’ensemble.

Des génies, l’un après l’autre

La notion de transmission se révèle ici importante. Plusieurs références sont faites à un chef plus ancien, Antonin Carême (le cuisinier de Talleyrand), ainsi qu’à un autre, Auguste Escoffier, dont Bouffant dit qu’il « nous fait rêver le futur ». Aux yeux de Tran Anh Hùng, il semblait important de donner une image précise de l’enchaînement de génies de la gastronomie durant cette période.

PHOTO JOEL C RYAN, INVISION, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

La passion de Dodin Bouffant est le septième long métrage de Tran Anh Hùng.

« Treize ans seulement séparent la mort d’Antonin Carême et la naissance d’Auguste Escoffier qui, avec César Ritz, allaient monter un empire de l’art culinaire en Europe avec leurs palaces – à Monaco d’abord, puis à Londres et enfin à Paris », explique le cinéaste dans des notes remises aux journalistes.

« Escoffier et Ritz sont les premiers à avoir saisi l’importance de la beauté des lieux, celle de la lumière, pour servir d’écrin à la cuisine. Aujourd’hui encore, lorsqu’ils traversent une crise existentielle, les plus grands chefs du monde ouvrent le livre d’Escoffier pour retrouver inspiration et énergie. Ce livre reste leur bible. »

Seul bémol à propos de cette œuvre dont on saura samedi si elle aura séduit le jury : présenter un film qui fait autant saliver à des festivaliers qui, pour la plupart, n’ont pas eu le temps de prendre un repas digne de ce nom depuis une semaine est un peu cruel. Voilà, c’est dit !