Si les films Confessions et 23 décembre ont connu du succès en 2022, il reste que bon nombre de films québécois ont récemment pris l’affiche en passant trop inaperçus. État des lieux.

Récemment, Patrick Huard s’est dit déçu que l’image du cinéma québécois soit de nouveau à redorer. Luc Picard s’est désolé pour sa part qu’aucun jeune ne le reconnaisse dans un dépanneur alors que son film, Confessions, était millionnaire au box-office.

PHOTO ERIC MYRE, FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Luc Picard dans une scène de Confessions

Le plus grand succès de l’année aura finalement été 23 décembre, qui a récolté jusqu’à présent plus de 2,1 millions de dollars au box-office, surpassant Le guide de la famille parfaite (2021) et se rapprochant des recettes de Menteur, lancé à l’été 2019.

PHOTO KARINE DUFOUR, FOURNIE PAR IMMINA FILMS

François Arnaud et Catherine Brunet dans 23 décembre

Patrick Roy, fondateur de la société de distribution Immina Films, avait des « attentes plus prudentes » pour 23 décembre, étant donné que le public était toujours en baisse à l’automne par rapport aux années prépandémie. Il est fort heureux du rayonnement que connaît la comédie romantique, d’autant plus que c’est le premier film que sort officiellement Immina Films.

Patrick Roy travaille dans le milieu du cinéma québécois depuis plus de 30 ans. Il était jusqu’à l’an dernier président des Films Séville, filiale d’Entertainment One qui a décidé de cesser la distribution de films en salle. Il a fait ses débuts chez Alliance Atlantis Vivafilm, qui a distribué dans les années 2000 – avant de fusionner avec Séville – quatre des cinq plus grands succès du cinéma québécois, dont le film québécois le plus lucratif de l’histoire, Bon Cop, Bad Cop, qui a récolté plus de 10 millions de dollars au box-office.

Le film mettait en vedette Patrick Huard, aujourd’hui membre du conseil d’administration de Québec Cinéma. Récemment, Patrick Huard a dit dans une entrevue avec La Presse regretter que le cinéma québécois ait une réputation à rebâtir.

Au milieu des années 2000, ses parts de marché avaient atteint un sommet de 18,2 %. En 2022, elles ont été de 7,3 %. « Il manque de films populaires sur nos écrans », fait valoir Patrick Roy.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Catherine Chabot, Léane Labrèche-Dor et Mariana Mazza dans Lignes de fuite

Quand il regarde les recettes des films québécois en 2022, il ne voit pas de « sous-performance » pour autant. Mais il s’explique mal pourquoi Lignes de fuite, dont il a orchestré la distribution pendant la transition de Séville à Immina, n’a pas mieux fait. « Je vais avouer que je suis déçu », dit-il. Son hypothèse : le thème de l’écoanxiété a peut-être rebuté certaines personnes.

Miryam Bouchard a réalisé à la fois 23 décembre et Lignes de fuite. Elle est enchantée par l’accueil qu’a obtenu son film choral de Noël écrit par India Desjardins. « J’essaie habituellement de me détacher du box-office, car la sortie d’un film dépend de plein de choses sur lesquelles on n’a pas le contrôle. Mais là, je ne suis pas capable. »

Comme plusieurs de ses confrères du milieu du cinéma, elle regrette que certains films québécois, dont Lignes de fuite, « passent dans le beurre » malgré une visibilité dans les médias.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Miryam Bouchard, réalisatrice de Lignes de fuite et de 23 décembre

À quel point on réussit à rejoindre les gens ? C’est comme s’ils ne savaient pas que leurs vedettes de la télé sont aussi au cinéma.

La réalisatrice Miryam Bouchard

Bien entendu, les films québécois en salle doivent rivaliser avec les Top Gun et tout le contenu sur les plateformes. « Il y a de moins en moins de raisons d’aller au cinéma et c’est épeurant », dit Miryam Bouchard.

Où est le public ?

« On a de grands films qui n’ont pas été assez vus, convient Sylvie Quenneville, directrice générale de Québec Cinéma. On produit beaucoup de films au Québec et c’est très impressionnant. Mais il faut rejoindre le public et mener une vraie réflexion pour savoir à qui s’adressent les films. »

L’été dernier, Luc Picard a fait un test, raconte Christian Larouche, qui est à la fois producteur (Christal Films) et distributeur (Les Films Opale). Alors que Confessions était en salle, il a sondé des jeunes dans un dépanneur. Résultat : « On ne le reconnaissait pas. »

« On les rejoint comment, les jeunes ? », lance Christian Larouche, qui prépare la distribution du film pour ados Cœur de slush en juin 2023.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Scène tirée de Viking, film de Stéphane Lafleur

Christian Larouche a travaillé en 2022 à la distribution de Confessions, mais aussi de Tu te souviendras de moi, Arlette et Viking. En décembre dernier, il se disait somme toute satisfait de leur vie en salle, mais il soulignait que c’est le type de longs métrages qui bat de l’aile au cinéma. « Les films de famille et les gros films américains fonctionnent bien. Mais pour le reste, ça va moins bien et c’est un phénomène mondial. »

Au-delà du box-office

En regardant le bilan annuel de Cinéac, agence qui compile les recettes des films projetés au Québec, on remarque que Chien blanc, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, et Viking, de Stéphane Lafleur, n’ont récolté qu’autour de 250 000 $ chacun dans les salles de la province.

« Oui, il y a le succès des films au box-office, mais il y a aussi leur rayonnement et les ventes à l’international », souligne Louise Lantagne, présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4:3

Patrick Hivon, Monia Chokri et Steve Laplante sont en vedette dans Babysitter.

En 2022, plusieurs œuvres ont rayonné dans des festivals, dont Babysitter, de Monia Chokri (à Sundance), Falcon Lake, de Charlotte Le Bon (à Cannes), et Un été comme ça, de Denis Côté (à Berlin). Viking s’est taillé une place dans la sélection du Canada’s Top Ten du Festival international du film de Toronto, il a remporté plusieurs prix dans des festivals et il sera distribué en France.

Des films plus évènementiels ?

Le 10 mars 2020, juste avant la pandémie, le budget provincial a permis à la SODEC de subventionner un film à hauteur de 4 millions de dollars alors que le maximum était auparavant de 2 millions. « L’idée était de donner une plus grande valeur à certains films », explique Louise Lantagne.

Or, pendant la pandémie, Téléfilm Canada a eu des problèmes de « décaissement » et la SODEC a comblé le « manque à gagner » de plus de 15 productions en difficulté, dont Au revoir le bonheur.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Scène du film Au revoir le bonheur

Résultat : la SODEC n’a pu voir pleinement l’impact de sa nouvelle marge de manœuvre financière. « On veut ramener ça à l’essence de donner plus de moyens à certains films », dit sa présidente.

« On voudrait plus de projets pour la jeunesse, ajoute-t-elle. Il ne faut pas oublier que la SODEC fait des choix parmi les projets qui sont déposés. »

Lisez « Que faire pour mieux rejoindre le public ? »