Yann Fortier publie un premier roman, L'angoisse du paradis, chez Marchand de feuilles. Un récit qui prend ses distances par rapport à notre lieu et notre époque. Mais pas tant que ça!

Voyez le regard de côté et le sourire sur le bout des lèvres de l'auteur Yann Fortier. Son premier roman L'angoisse du paradis procède de la même ironie. En montrant le paradoxe humain, mais en restant au-dessus de la mêlée.

«Dans un aéroport ou dans un avion, dit-il, on vit quelque chose de complètement différent. On ne peut pas revenir en arrière, il faut aller de l'avant. Dans l'avion, on est en décalage horaire, en zone franche. C'est un no man's land spatio-temporel. C'est un peu ce que je cherchais à créer.»

Un premier roman libre, donc. Ce n'est pas toujours le cas. Il faut oser, il faut trouver le bon sujet et le bon éditeur.

«J'ai été chanceux. Mélanie Vincelette a une véritable démarche. J'ai été surpris de la latitude que j'ai eue. Les changements demandés ont exigé beaucoup de temps, mais ils étaient pertinents.»

Yann Fortier a ainsi pu créer un univers décalé, ou «neutre» comme il dit lui-même. Son personnage principal, Ivan Zolotov, est né à Gorki, pardon Nijni Novgorod, en Russie, pardon en Union soviétique, en 1940. Il deviendra prof d'histoire non sans avoir connu une vie rocambolesque de Cuba à Barcelone en passant par New York.

«Peu de gens sont allés à Nijni Novgorod. Personne ne devrait me contredire sur le fait que telle maison est blanche plutôt que bleue. Je voulais sortir du Québec et aller ailleurs. J'ai été beaucoup influencé par un road trip que j'ai fait dans les Balkans il y a deux ans. J'ai vu au Kosovo parmi les plus beaux paysages du monde. La géographie est surtout un prétexte pour développer des tableaux entre impressionnisme et surréalisme.»

Absurde

Pas d'autofiction ou d'hyperréalisme. Le ton frôle souvent l'absurde. Les apartés se succèdent. L'auteur de 44 ans aime garder le lecteur en déséquilibre.

«Je me suis payé une traite. Il y a un affranchissement là-dedans, ça ne me tentait pas de me coller à ma propre vie ou géographie. Il y a une certaine forme d'humour BD dans le livre, entre le Marcovaldo de Calvino, le Zelig de Woody Allen et Achille Talon

Son Zolotov ira de surprises en découvertes au fil de cette vie de solitaire qui est la sienne. Témoin d'un monde en changement, la Russie notamment.

Mais le romancier ne cherche pas à se moquer du communisme ou à faire l'apologie du capitalisme.

«C'est un réflexe normal d'antagoniser les deux. Mais si on revient à l'origine des valeurs et des fondements de ces mouvements, qu'ils soient politiques ou religieux d'ailleurs, ils voient l'humain comme être fondamentalement bon.»

«Il n'y a pas de nostalgie d'un système dans le roman, mais un regret devant la perte des fondements humains, utopiques ou non, qu'on voit se déformer avec le temps.»

Yann Fortier, lui, s'est formé à la culture russe en l'étudiant un peu à l'université, dans les romans de Dostoïevski et en imaginant le reste. Il n'y est jamais allé.

«C'est le complexe des Beastie Boys. Je les aimais tellement que je ne suis jamais allé les voir en spectacle. Je préfère me les imaginer. J'aime faire de la recherche et mon livre, c'est un roman. C'est une fiction. On a énormément de points communs avec la Russie: même climat, les deux plus grands pays du monde, les changements de saison, l'hiver.»

Voyager

Zolotov voyage beaucoup, Yann Fortier aussi. Directeur montréalais de l'événement World Press Photo et ancien éditeur adjoint du magazine Nightlife, c'est un rédacteur professionnel, maintenant romancier.

«L'un alimente l'autre. Ce que je peux faire en rédaction, qui est plus mécanique, me sert en raison de codes que je trouve intéressants. Je n'écris pas dans la souffrance et la douleur. L'écriture est un gros carré de sable qui me donne du plaisir.

«Quand j'avais 5 ou 6 ans, poursuit-il, je disais que je voulais être en publicité ou écrivain à New York.» 

«J'ai commencé à écrire à l'adolescence pour impressionner les amis et les filles. J'avais un esprit rebelle. J'écrivais sur les murs de ma chambre avant de transposer le tout dans des calepins de notes.»

Il est amateur d'art visuel comme son personnage principal. Dans L'angoisse du paradis, Zolotov apprendra l'existence d'une oeuvre intitulée La toile invisible et d'un cirque volant, avant de se retrouver dans une île du Pacifique qui risque de disparaître en raison des changements climatiques. C'est là qu'il se sentira le plus près de ce qu'on pourrait appeler le paradis.

«J'ai une phrase fétiche au sujet du sens de la vie: il n'y en a aucun. À partir de là, tout est possible. Ce n'est pas possible de penser qu'avec du guts et de l'audace, tu deviendras président du Cirque du Soleil, mais, au contraire de ce que j'ai déjà été, soit rebelle, je suis un positif chronique. On est surprivilégié dans un contexte où le monde n'a jamais été aussi en paix, mais on n'arrête pas de se faire bombarder du contraire. Tabarouette, gimme a break

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L'angoisse du paradis. Yann Fortier. Marchand de feuilles, 231 pages. En librairie.

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L'angoisse du paradis