En pleine campagne électorale, alors que les partis politiques tentent par tous les moyens de séduire l'électorat, Sébastien Ste-Croix Dubé s'en prend à l'omniprésente culture du divertissement que l'on consomme sans trop se poser de questions. Une culture du vide qui, selon lui, nous plonge dans un état passif et nous éloigne de l'engagement citoyen. Oui, le divertissement a du bon. Mais encore faut-il trouver un équilibre. Entretien.

Quelle a été la première motivation à écrire cet essai?

Premièrement, j'avais rédigé un mémoire de maîtrise sur la culture du divertissement chez l'écrivain américain David Foster Wallace. L'éditeur Nicolas Lévesque s'est dit intéressé par la partie de mon mémoire qui portait sur la culture du divertissement, alors je suis parti de là.

De quoi parlez-vous quand vous parlez de «culture du divertissement»?

La culture prend racine dans la langue, mais aussi dans ce qu'on consomme comme productions culturelles. Le divertissement est nécessaire à l'humain, c'est ce qui permet de fuir le labeur quotidien, de s'apaiser et de relaxer. J'en ai contre le divertissement passif qui ne porte pas à la réflexion. Et puis quand on passe en moyenne 10 ou 11 heures devant un écran - ce sont les dernières statistiques -, c'est trop!

Dans cet essai, vous expliquez que les heures que nous passons à nous divertir nous éloignent, en quelque sorte, de la vraie vie. Qu'est-ce qui a déclenché cette réflexion?

Ça vient de mon adolescence dans Lanaudière. J'ai occupé trois emplois étudiants. Le premier dans un club vidéo où j'ai pu observer quel genre de films les gens louaient: des blockbusters, de la porno, beaucoup de porno. Puis, à l'âge de 15-16 ans, alors que je découvrais la lecture, j'ai travaillé en mécanique dans un garage. Le contraste entre cet univers et le monde littéraire était frappant. Enfin, j'ai travaillé comme livreur de pizza. J'allais livrer dans des quartiers très pauvres, dans des maisons de tôle, parfois presque des taudis. Or quand la porte s'ouvrait, je pouvais apercevoir une télé à écran géant et une PlayStation. C'est ce qui m'a le plus marqué. Les gens fuyaient leur réalité en se réfugiant dans l'univers du divertissement. Ça m'a fait réfléchir.

Et la télé serait la seule responsable?

La télé, c'est le cheval de Troie de cette culture-là, mais ensuite il y a la musique pop, le cinéma, la porno, les jeux vidéo, Facebook. Les jeux vidéo, c'est super, c'est devenu une forme d'art. Mais c'est aussi le vortex cérébral par excellence. En fait, toutes ces formes de divertissement sont à la fois des objets fabuleux qui peuvent porter à réflexion et des divertissements passifs qui n'apportent rien et ne nous font pas avancer. Je ne méprise pas cette culture, je remets en question sa surconsommation. J'irai plus loin encore en disant que cette culture du divertissement, c'est un des éléments qui permettent au système néolibéral d'exister et de se perpétuer.

Est-ce qu'à votre avis, il existe des divertissements intelligents?

Tout à fait. Prenons un bon gros blockbuster divertissant comme le Batman de Christopher Nolan. C'est un bon film de pop-corn, mais c'est aussi une réflexion existentialiste extrêmement intéressante. Il y a tellement de zones grises dans ce film et la psychologie des personnages est suffisamment complexe qu'à la fin, on ne sait même plus qui est le méchant et qui est le gentil. On ressort de ce film-là en ayant été diverti, mais également en ayant vu quelque chose qui suscite une réflexion. Les documentaires Netflix, c'est hyper intéressant, on apprend plein de choses. Mais 10 heures d'écran par jour, c'est trop.

Pourquoi cherche-t-on à ce point à se divertir, selon vous? Qu'est-ce que cela cache?

Parce que ça fait mal. Parce que c'est difficile de se poser les vraies questions. Dans mon livre, je parle de mes parents. Ça allait très mal entre eux. Que faisaient-ils? Ils écoutaient cinq heures de télé par soir, ça anesthésiait complètement leurs problèmes au lieu d'en parler. C'est un symptôme qui s'applique à bien des gens.

Nous sommes en campagne électorale. Avez-vous l'impression que les partis politiques essaient eux aussi de nous divertir?

On est dans une forme de simulacre et la politique est une forme de divertissement en soi. Maintenant, reconnaissons que ce n'est pas facile d'aller chercher les masses quand on a un discours posé, réfléchi et structuré. On le voit, il y a des partis qui l'essaient et ils se font rentrer dedans. On a peur de réfléchir, de se remettre en question. On reproche aux politiciens de nous mentir, mais en même temps, on est prêt à croire n'importe quelle promesse. Il y a tout de même de vraies choses et de bonnes intentions dans cette campagne, mais au bout du compte, la machine politique est gangrenée. Résultat: les gens consomment la politique comme n'importe quel divertissement. Ils demeurent bien au chaud dans le confort de leur maison, regardent la campagne, se laissent distraire un peu. C'est le divertissement du moment. Après, ce sera autre chose.

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La culture du divertissement - Art populaire ou vortex cérébral? Sébastien Ste-Croix Dubé. Varia. 192 pages.

Image fournie par Varia

La culture du divertissement - Art populaire ou vortex cérébral ?