De Blue Velvet à Elephant en passant par American Beauty, la banlieue est souvent sombre et tordue dans le cinéma américain. C'est justement en pensant à ces films qu'Hugo Léger a créé l'inquiétante banlieue de son deuxième roman, Le silence du banlieusard, dont elle est en quelque sorte le principal personnage.

Luc mène une vie maniaquement rangée à Greenfield Park avec sa femme Nathalie et leur ado Lucie. La disparition inexpliquée de Luc permet de raconter des tranches de vie de la famille - dans l'ordre et le désordre - et devient prétexte à décrire les aspects sombres de la banlieue, faits d'asphalte, de grands espaces vides et de silences. L'auteur en profite également pour s'en prendre au boulevard Taschereau... «Une erreur et horreur urbanistique», dit Hugo Léger, cicatrice désolante et déshumanisante, symbole de la prospérité des années 70 et de la déliquescence d'un monde qui n'existe plus.

«Diaboliser la banlieue, la rendre un peu épeurante, c'est ma grande stratégie pour freiner l'étalement urbain! , dit Hugo Léger, lui-même résidant de Saint-Lambert, en rigolant. C'est vrai que ma banlieue n'est pas accueillante. C'est le revers de l'image traditionnelle qu'on en a. Au côté paisible et rangé, il y a sans doute un côté dérangé, et c'est ça qui m'intéressait.»

Isolement

À l'image de tous ces terrains délimités et bien clôturés, Hugo Léger a créé une famille à l'intérieur de laquelle chacun est seul: actes inavouables, vie parallèle, pensées secrètes, l'isolement est complet. «Chacun est dans son monde sous le même toit, et la communication, le plaisir passent par l'interface de l'objet plutôt que par la rencontre de l'autre et le partage de ses émotions profondes.»

S'il y a mille facettes à la banlieue, elle est facilement «caricaturable», croit Hugo Léger. Mais son livre ne doit surtout pas être vu comme une charge contre les banlieusards. «Je fais partie de ce monde», note cet ex-citadin qui adore son barbecue, tondre son gazon et regarder ses nains de jardin. «C'est cute, un nain de jardin, au deuxième degré!» L'autodérision est clairement au rendez-vous, mais l'auteur estime que cette histoire n'est «rien de plus» que celle d'un personnage aux prises avec une profonde fêlure intérieure, «pas très bien dans sa tête, un peu déboussolé et désorienté».

En effet, Luc ne s'est jamais remis d'avoir été oublié dans la voiture par son père alors qu'il avait cinq ans... «C'est l'événement fondateur de sa vie, cette espèce d'abandon systématique dont il a été l'objet. Ça ne fait pas de lui un être équilibré...»

C'est aussi la fondation du livre, qui commence sur cette scène absolument renversante d'un petit garçon en train de mourir de chaleur dans la Datsun de son père pendant que celui-ci est parti magasiner chez Zellers. Hugo Léger a un indéniable sens de l'image et du punch, et le roman est truffé de scènes aussi fortes que la première. Pas de temps mort chez cet auteur qui est aussi vice-président à la création à l'agence de publicité DentsuBos.

«Je déteste ennuyer et m'ennuyer en lisant. J'aime quand il se passe quelque chose, j'aime être transporté par un livre, et j'imagine que j'ai développé ce sens narratif en pub, où j'ai l'habitude de raconter des histoires en 30, 60 secondes. J'aime aussi être surpris par une finale, décontenancé, amener les gens vers quelque chose qu'ils n'attendent pas. Pour qu'ils aient envie de se rendre jusqu'au bout.»

C'est le cas ici, et la construction du livre y est pour beaucoup. Les courts chapitres ne sont pas chronologiques, le passé et le présent se télescopent, l'enquête sur la disparition de Luc n'en est pas vraiment une. Bref, Le silence du banlieusard est un polar sans en être un. «Il est déconstruit, comme les cuisiniers déconstruisent une poutine... Il ne répond pas aux canons du genre, mais j'ai envie de dire aussi que n'importe quel bon roman est un thriller, parce qu'on a toujours envie de savoir où ça s'en va! Je suis en train de lire la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster, et même si ça se passe dans la tête des gens, c'est la même chose.»



Humour noir

Le silence du banlieusard est implacablement noir, mais aussi oppressant que drôle: Hugo Léger manie l'humour noir avec doigté et talent. «Je ne peux pas m'empêcher de mettre un peu de fantaisie», avoue-t-il. Orteil coupé par une tondeuse, couple tueur d'écureuils, passage à l'hôtel de ville pour demander que le nom de Greenfield Park soit traduit en français, femme inoffensive qui se transforme en troll sur les blogues... plusieurs situations sont franchement amusantes.

«J'essaie de ne pas trop appuyer non plus, pour ne pas tout faire basculer. On m'a reproché ce mélange de lourdeur et de légèreté dans mon premier roman, mais il y a tellement de choses dans la vie qui sont comiques en soi!» Il a quand même réfréné le publicitaire en lui, dosé ses effets et fait attention aux formules faciles: après Tous les corps naissent étrangers, qui était une sorte de bouteille à la mer - «J'avais envie de me prouver que j'étais capable d'écrire un roman» -, Hugo Léger envisage maintenant de faire le métier d'écrivain «sérieusement».

«L'écriture a toujours été mon métier et ma bouée. J'ai été journaliste, ensuite concepteur-rédacteur en publicité. Toute ma vie, j'ai pensé en clips, en titres, en pièces détachées, en sautant de l'univers d'un client à un autre. Si la pub est un sprint, le roman est un marathon, qui oblige un travail de réflexion, d'approfondissement. C'est un nouveau monde que j'explore et une grande fenêtre sur un monde que je ne connaissais pas. Je crois que ça fait partie de mon avenir.»

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Le silence du banlieusard. Hugo Léger. XYZ, 253 pages.