On dit souvent qu'en chaque journaliste sommeille un écrivain dont les tiroirs débordent de projets de roman. C'est une légende urbaine. La réalité, c'est que dans le tiroir des journalistes, il y a généralement plus de communiqués de presse que de romans en chantier ou inachevés.

Il y a toutefois des exceptions à la règle. Claudine Bourbonnais est une de ces exceptions. Présentatrice de nouvelles à RDI depuis 1995, Claudine lance cette semaine Métis Beach, un beau gros roman comme les Américains savent si bien en écrire, qui se déroule entre Métis-sur-Mer, Los Angeles et New York et met en scène un jeune Gaspésien qui commence au bas de l'échelle sociale et finit scénariste à Hollywood après avoir traversé le tumulte des années 60 et 70.

Claudine Bourbonnais me précède sur la passerelle du Centre de l'information. Elle porte pour l'occasion un jeans et des bottes de cavalier tempérés par un veston sage, indispensable compagnon des présentatrices de nouvelles de l'Occident. Sous nos yeux, des dizaines de journalistes et de techniciens s'agitent pour rendre la nouvelle de l'heure et nourrir le monstre insatiable de l'information continue. C'est une ambiance que Claudine aime et dont elle ne saurait se passer.

J'ai voulu rencontrer Claudine Bourbonnais dans l'univers professionnel qu'elle habite dès 5h du matin du jeudi jusqu'au dimanche, d'abord parce qu'elle est une femme passionnée par l'actualité. Mais j'ai aussi choisi ce décor pour souligner que Claudine n'est pas une écrivaine comme les autres. C'est avant tout une journaliste, ce qui, en regard de la tâche qu'elle vient d'accomplir, lui confère un statut particulier parmi les siens. Il est en effet rare qu'une présentatrice de nouvelles non seulement s'attèle à l'écriture d'un roman de 448 pages, mais le fasse avec autant de souffle et de maîtrise.

Ce qui est frappant dès les premières pages de Métis Beach, c'est à quel point c'est bien écrit. La remarque peut sembler bizarre, mais sans citer de noms, disons qu'il arrive trop souvent, dans l'édition québécoise, de tomber sur des histoires certes captivantes mais mal écrites, mal construites, qui auraient eu besoin de plusieurs réécritures. Ce n'est vraiment pas le cas avec Métis Beach. Le récit coule de source. Les personnages sont tous superbement campés, et même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'écriture littéraire, on dénote beaucoup d'élégance et de fluidité dans le style.

Bref, avec ce premier roman qui se déroule des années 60 à nos jours et fait vivre une vaste galerie de personnages, c'est une authentique romancière que le lecteur découvre. Claudine Bourbonnais rougit du compliment.

Derrière son sourire timide apparaît brièvement la première de classe et la perfectionniste qui a dû passer des heures et des heures à écrire, réécrire et raturer, jamais tout à fait contente ni comblée. Dans les faits, Claudine Bourbonnais a mis six ans à écrire Métis Beach. Elle avait déjà ébauché deux autres romans avant de se décourager en cours de route et de les abandonner.

«Je voulais écrire, mais je ne savais pas comment faire pour construire une histoire ni faire vivre des personnages. Je me relisais et je trouvais ça plate. Alors j'ai laissé tomber le roman et je suis plutôt allée du côté de l'écriture scénaristique.»

Après avoir écrit le scénario d'un téléfilm qui n'a finalement pas vu le jour, Claudine a planché sur un projet de télésérie qui se déroulerait à Métis Beach. Elle avait imaginé une histoire, 20 ans plus tôt, en passant par hasard dans le coin avec une amie.

«J'ai donc écrit un premier épisode pour la télé et puis, quelques semaines plus tard, j'étais dans mon atelier en train de décaper quand j'ai entendu à la radio une entrevue avec Fabienne Larouche. J'ai compris que les chances que mon projet se rende au petit écran étaient à peu près nulles. C'est à partir de ce moment-là que j'ai décidé de retourner au roman en m'obligeant cette fois à écrire coûte que coûte.»

L'impulsion pour écrire peut naître à tout moment. Pour Claudine, c'est arrivé vers 10 ou 11 ans, lorsque ses parents lui ont fait cadeau d'une superbe machine à écrire nichée dans un boîtier turquoise. La petite s'est aussitôt mis en tête d'écrire un premier roman. Il faisait trois pages et était ni plus ni moins que le résumé de Papillon, l'autobiographie d'un ex-bagnard qu'elle venait tout juste de lire.

Les voyages forment la jeunesse et les lectures, les écrivains. C'est en lisant que la fille du chasseur de têtes Jean-Pierre Bourbonnais et de Suzanne Guénette, passionnée des arts visuels, a pris le goût à l'écriture. Pourtant, à partir du cégep à Brébeuf, l'actualité politique a pris le pas sur la littérature.

La guerre du Liban faisait rage et la future journaliste a décidé de poursuivre des études en sciences politiques à McGill, puis de quitter Montréal pour l'Université de Durham, en Angleterre, afin d'approfondir ses connaissances sur le Moyen-Orient.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire en lisant Métis Beach, Claudine Bourbonnais n'a pas passé tous les étés avec sa famille à Métis-sur-Mer. Pour les Bourbonnais, l'été, c'était plutôt à Cape Cod. De la même manière, tous les personnages du roman, y compris Romain Carrier, personnage principal, sont issus de la génération du baby-boom. La romancière nous offre donc un roman générationnel où se mêlent artistes, militants, déserteurs de la guerre du Viêtnam et où l'on croise des icônes culturelles de l'époque comme Bob Dylan, Jack Kerouac, la féministe Betty Friedan et l'artiste du pop art Roy Lichtenstein. Mais, contre toute attente, ce roman générationnel est celui d'une romancière d'une autre génération, puisque Claudine Bourbonnais est née en 1964.

«L'écriture m'a permis de vivre par procuration une époque qui me fascine et que je n'ai pas connue du fait que j'étais beaucoup trop jeune pour comprendre ce qui se passait. En revanche, j'ai écrit sur la génération de mon chum. Quand il a eu fini de lire le livre, il m'a dit: «Wow, c'est mon époque et c'est ma génération.» Inutile de dire à quel point ça m'a fait plaisir.»

Les journalistes s'occupent des choses qui passent et disparaissent. Les écrivains sont les journalistes de l'éternel, écrivait l'auteur canadien Jean-François Somain. Claudine Bourbonnais a le bonheur maintenant d'être à la fois journaliste et écrivain. Elle risque de le demeurer pour les années à venir puisqu'elle planche déjà sur un deuxième roman qui se déroulera en Angleterre pendant les années Thatcher et parlera cette fois d'une génération qu'elle connaît bien: la sienne.

Claudine Bourbonnais en cinq livres marquants

> Le journal d'Anne Frank

Impossible pour une jeune lectrice de ne pas s'identifier à cette adolescente qui vit l'horreur, et de se tourner vers les adultes pour leur demander pourquoi le monde est si cruel, écrit Claudine.

> Chien blanc de Romain Gary

Une métaphore saisissante de la ségrégation raciale dans les années 60 aux États-Unis.

> Une prière pour Owen de John Irving

L'amitié, le Viêtnam, la religion et l'exil, autant de thèmes présents dans Métis Beach, preuve de l'influence irvingienne sur la romancière.

> La trilogie de Deptford de Robertson Davies

Un livre lu il y a longtemps et qui lui a laissé l'impression très forte d'un chef-d'oeuvre.

> Le monde de Barney de Mordecai Richler

Ce roman au souffle incroyable et à l'humour décapant, écrit Claudine, réussit le tour de force suivant: rendre attachant un ivrogne qui revient sur une vie qu'il a lui-même contribué à faire déraper.

Une prière pour Owen de John Irving