De Malabourg, village fictif, jusqu'à New York, en passant par Montréal, le deuxième roman très attendu de Perrine Leblanc est composé comme un grand parfum, avec ses notes de tête, de coeur et de fond, inspiré par la matière la plus noble qui soit: la langue. Malabourg s'adresse autant à l'esprit qu'au corps, et confirme le talent de l'écrivaine révélée en 2010 par L'homme blanc.

Dans la boutique Guerlain de l'avenue Greene où nous lui avons donné rendez-vous pour la séance photo, Perrine Leblanc hume les parfums avec une assurance surprenante, tout le contraire de l'attitude discrète et réservée qu'elle affiche habituellement. Elle reconnaît facilement les ingrédients, lance quelques exclamations, pose beaucoup de questions.

Pour lui faire plaisir, on lui fait sentir les jus qui exaltent la rose, la reine des fleurs, sa préférée, celle qu'elle célèbre dans Malabourg. Elle a même suivi une formation à Paris chez L'Artisan parfumeur pour créer un parfum qui porte le nom de son roman. «Je l'ai créé selon mes goûts, mais il lui manque quelques éléments pour que ce soit vraiment le parfum du livre», dit ce «nez» exigeant.

Chez Guerlain, la création Rose barbare la séduit, et quand on y pense, il y a une réelle barbarie au coeur de son nouveau roman. Malabourg, village fictif de la Gaspésie, dont la faune humaine et naturelle est très sauvage, sera traversé par un drame d'une grande violence: la disparition brutale de trois jeunes filles en fleurs. Mais c'est avant tout une histoire d'amour, entre Mina et Alexis, deux originaux qui font jaser la petite communauté, témoins des vices de leurs semblables. Pour Alexis, «Mina, c'est le pissenlit, la dent-de-lion» parmi les femmes de Malabourg. Et l'écrivaine s'identifie à ce personnage. «Au départ, elle s'appelait Rina, mais j'ai changé son nom, parce que je me suis rendu compte qu'il était contenu dans le mien, Perrine! J'ai choisi Mina parce que j'ai toujours été fascinée par la Mina de Dracula.» Ce n'est qu'en quittant Malabourg que Mina et Alexis pourront s'épanouir chacun de leur côté avant de se retrouver et que la chimie fonctionne...

Essences et influences

Ce qui étonne dans ce deuxième roman, c'est cette sensualité, plutôt absente de L'homme blanc, son premier roman qui lui a valu le Grand Prix du livre de Montréal et le Prix du Gouverneur général. De plus, l'histoire est résolument incarnée sur son territoire, alors que certains avaient reproché à L'homme blanc une froideur apatride, puisque l'histoire se déroulait en Russie.

Ce côté charnel tient au sujet, bien sûr - Alexis deviendra parfumeur -, mais aussi à des circonstances extérieures. «J'étais très amoureuse quand j'ai écrit Malabourg, dit-elle. C'est fou comme la phrase peut être influencée par ce qu'on vit. J'ai trouvé ça fascinant de voir que le souffle de l'écriture était aussi étroitement lié à ce que je vivais, plus que le sujet. Quand j'ai écrit L'homme blanc, j'étais vraiment sous l'influence de Jean Echenoz. Je me suis beaucoup plus censurée, alors que pour Malabourg, j'ai carrément ouvert les vannes. Il y a une liberté dans Malabourg qu'il n'y avait pas dans L'homme blanc. J'ai peut-être trouvé ma manière.»

Echenoz et Quignard sont deux modèles qu'elle cite souvent. Elle partage avec eux le même souci maniaque du détail, le même amour de l'ellipse. «J'étais vidée quand j'ai terminé ce roman. Je ne voulais pas refaire L'homme blanc, je voulais faire quelque chose de meilleur.» Perrine Leblanc, qui a longtemps travaillé dans le milieu de l'édition, est du genre à être sans pitié pour ses manuscrits, et ses propres exigences sont sa seule pression, bien plus que celle d'être publiée dans la mythique collection «Blanche» de Gallimard, ce qui lui vaut quelques jalousies.



La partie du roman qui se déroule à Malabourg, explique-t-elle, se situe dans le temps du conte, au passé simple, d'où son côté presque onirique, avant que l'histoire ne se déploie à Montréal, puis à New York, au présent. L'actualité se taille une place dans le roman, puisque la crise étudiante de 2012 y est décrite. Perrine Leblanc habite dans le quartier où se tenaient les manifestations.

«Il s'est vraiment passé quelque chose dans mon quartier qui a bouleversé ma vie intime, professionnelle. Ça m'a profondément marquée et pour la première fois de ma vie, j'ai eu peur dans ma ville. Et à la fin, une femme est élue et il y a un attentat. J'ai été physiquement et moralement dérangée pendant une semaine après l'attentat. J'ai trouvé ça très violent.»

Elle rappelle qu'on n'a jamais autant parlé du Québec à l'étranger que pendant cette crise. Elle le sait, elle était en France et on lui posait plus de questions sur cela que sur son roman. D'ailleurs, le journal Le Monde lui avait commandé un article sur le sujet, qu'elle a intitulé «Nuits blanches à Montréal».

Quel «sillage» espère-t-elle laisser avec Malabourg? «C'est complexe. Peut-être une idée de l'Amérique. Du continent. La traversée du territoire, du côté sauvage de Malabourg jusqu'à l'urbanité de la ville de New York. L'américanité est ce qui m'intéresse.»

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Malabourg, Perrine Leblanc, Gallimard, 176 pages.