Ce que La Presse en pense.

Notre choix

Tu écouteras ta mémoire: on n'est pas sérieux quand on a 85 ans ****

Dans un monde obsédé par les primoromanciers, où l'on est sans cesse en quête de « nouvelles voix », on réfléchit peu à ce que signifie écrire un 42e livre que personne n'attend - pas plus qu'on attendait le premier, d'ailleurs. On en apprendrait plus sur la vanité, et de ce sentiment, Gilles Archambault est spécialiste. Il la traque chez les autres, dans les livres et les postures d'écrivains, mais surtout en lui-même, appliquant l'excellent principe de son cher Cioran, qui consiste à se lancer la première pierre avant qu'on ne le fasse à sa place. Et même là, cette brillante astuce peut révéler la vanité. Sur l'autodérision, il écrit : « tout a fonctionné jusqu'au jour où il s'est rendu compte que tout autour de lui, on protestait de moins en moins lorsqu'il se dépréciait à haute voix ».

Mauvaise foi, mélancolie, exaspérations, illuminations, tendresse et humour émaillent les « cent très brefs récits » qui constituent le recueil Tu écouteras ta mémoire, dont la concision est un gage de profondeur et de politesse qu'on ne retrouvera jamais sur Twitter.

Gilles Archambault a trouvé depuis longtemps ses grands thèmes, qui n'ont peut-être jamais été plus pertinents que maintenant, alors qu'il a 85 ans. Il insiste, il souligne, il creuse le fait d'être vieux, la mort des passions, le temps qui passe, la tyrannie des souvenirs heureux et l'inutilité de publier. Et pourquoi se priverait-il de ce recul sur le monde qu'offre le grand âge, que les jeunes écrivains ne peuvent qu'imaginer et, au pire, singer ?

Pour tout dire, c'est savoureux. Entre autres parce qu'on ne trouve pas dans son livre de « perles de sagesse », qui, accumulées, finissent par faire des colliers en toc. Archambault cultive ses défauts, plus que son image. « Encore un autre livre », annonce un texte où on lit : « Non, mais, va-t-il un jour s'arrêter de publier ? Il ne parvient qu'avec peine à porter la fourchette jusqu'à sa bouche, il tremblote de façon comique, pourtant il s'imagine que les jeunes pourront encore lire ses histoires d'un autre temps. » Son narrateur rêve parfois de brûler ses livres, « ces preuves de [sa] vie inutile », mais pense avec effroi à son incinération. Il lui arrive d'être touché par sa bru qui s'occupe de lui, mais il ne saurait vivre sans « ce silence horrible » de la solitude malgré tout. Autrefois, il disait écrire la nuit, pour séduire ; aujourd'hui, la vérité est qu'il passe ses nuits à chercher le sommeil et à être dérangé par sa prostate. « Il y a une quarantaine d'années, je vous l'accorde, j'étais un écrivain que titillait le désir de réaliser ce que j'appelais, les jours fastes, une oeuvre. J'étais touchant dans ce temps-là. » Il y a tout de même, peut-être, une petite place qui revient à tout écrivain ? « Moi, tenez, j'ai charge de famille, je m'échine du matin au soir à décrire ce monde horrible. Et qu'est-ce que j'en retire ? Le sourire moqueur de ma femme et des comptes rendus minables. Pourtant, je continue, je participe au marathon, je laisse dire qu'il n'y a rien de plus beau que l'imagination au pouvoir, je mens comme un arracheur de dents, je suis insatiable. Il ne serait pas mauvais qu'on me laisse une petite place, vous ne trouvez pas ? »

On ajoute peut-être un compte rendu minable de plus ici, mais ça nous donne l'étrange impression de participer à, oui, une oeuvre, même si le mot le fait rire. Du moins au dialogue ininterrompu depuis 50 ans d'un écrivain avec la littérature, qui persiste et signe, sans jamais nous ennuyer.

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Tu écouteras ta mémoire : cent très brefs récits

Gilles Archambault

Boréal, 133 pages

- Chantal Guy, La Presse

Autres choix

Grace: chaque miette est une fête

Octobre 1845. La Grande Famine de la pomme de terre s'amorce en Irlande. On meurt de faim. On meurt tout court. Grace, aînée d'une famille monoparentale, est envoyée sur la route par sa mère. Pour trouver du travail ou, à tout le moins, être une bouche de moins à nourrir. S'amorcent des années d'errance où chaque miette est une fête pour un estomac en forme de désert. Bien connue, cette histoire nous est ici racontée avec une écriture en lame de fond, en avalanche. Une écriture qui arrache tout, emporte tout, avec sa fougue, ses amplitudes, ses cascades de métaphores, ses épithètes. Un exemple : « Le ciel d'ardoise pèse si lourdement sur le bourg qu'on dirait le couvercle d'un cercueil. » Ce poids de la mort traverse ce roman dont le seul défaut est de s'étirer quelquefois. Autrement, le lecteur verra le profil de Grace se métamorphoser. De proie, elle devient prédatrice, voleuse, bête parmi les bêtes et prise d'hallucinations empiétant sur le réel. Partie à peine adolescente, elle revient femme. Ses années d'errance dans la grisaille permanente, la terre mouillée, les aliments pourris et les ronces se terminent sur une lueur d'espoir. 

Grace

Paul Lynch

Albin Michel

496 pages

- André Duchesne, La Presse

Personne n'a peur des gens qui sourient: mal de mère

IMAGE FOURNIE PAR ALBIN MICHEL

Grace, de Paul Lynch

Une mère (Gloria) se sauve avec ses deux filles (Loulou et Stella). Elle quitte sa maison du sud de la France pour s'installer en Alsace, région des étés de son enfance. Dans ses bagages, un fusil. Y a-t-il un véritable danger ou souffre-t-elle de persécution aiguë ? Au fil des pages, on découvrira que le danger est véritable. À coup de flashbacks, l'enfance de Gloria se dessine ainsi que sa relation passionnée avec le père de ses enfants, aujourd'hui décédé. Peu à peu, on comprend mieux la paranoïa de la narratrice. Écrit sur le fil, avec une certaine dose de suspense, Personne n'a peur des gens qui sourient revisite certains thèmes chers à Véronique Ovaldé : l'importance des histoires familiales, la force des femmes, la maternité et ses contraintes, la quête de la liberté... Malheureusement, on n'a pas réussi à s'attacher à Gloria, personnage un peu rêche, ou à se captiver totalement pour cette fuite échevelée. Ce qui ne nous empêchera absolument pas de lire les prochains romans de cette romancière majeure dont on apprécie toujours l'oeuvre.

Personne n'a peur des gens qui sourient

Véronique Ovaldé

Flammarion

270 pages

- Nathalie Collard, La Presse

Repenser la nation - L'histoire du suffrage féminin au Québec: le vote des femmes

IMAGE FOURNIE PAR FLAMMARION

Personne n'a peur des gens qui sourient, de Véronique Ovaldé

On a tous appris que les femmes avaient obtenu le droit de vote en 1918 au Canada et en 1940 au Québec. Mais on oublie que les femmes du Bas-Canada votaient vers la fin des années 1700, et ce, jusqu'au milieu des années 1800. Si vous pensiez que l'histoire du suffrage féminin était un sujet épuisé, détrompez-vous. L'historienne Denyse Baillargeon a déterré une multitude d'informations moins connues qui remettent en perspective nos connaissances sur cette question, et qui nous montrent qu'il n'y a pas eu une lutte, mais bien des luttes en faveur d'une meilleure représentation des femmes (on pense entre autres au travail des femmes autochtones qui ont combattu la Loi sur les Indiens, discriminatoire à leur endroit). L'auteure nous rappelle également que les femmes ne logeaient pas toutes à la même enseigne : certaines s'opposaient au droit de vote. Bref, un ouvrage qui remet les pendules à l'heure.

Repenser la nation - L'histoire du suffrage féminin au Québec

Denyse Baillargeon

Éditions du Remue-ménage, 238 pages

- Nathalie Collard, La Presse

Réédition

IMAGE FOURNIE PAR ÉDITIONS DU REMUE-MÉNAGE

Repenser la nation - L'histoire du suffrage féminin au Québec, de Denyse Baillargeon

La maison d'édition Alto réédite deux titres en un, Un jardin de papier suivi de Logogryphe, de Thomas Wharton. Le premier, « livre magique » selon l'éditeur Antoine Tanguay, paru d'abord en anglais en 2001 sous le titre Salamander, avait été traduit en 2005 chez Alto par Sophie Voillot, qui avait remporté le Prix littéraire du gouverneur général, tandis que Logogryphe, « une bibliographie de livres imaginaires », avait été traduit en 2007 chez Alto toujours par Voillot. Les voici maintenant réunis, avec la préface d'Alberto Manguel, pour le plus grand bonheur des lecteurs de Wharton.

- Chantal Guy, La Presse

IMAGE FOURNIE PAR ALTO

Un jardin de papier suivi de Logogryphe, de Thomas Wharton