Depuis sa sortie en Belgique en 2016, Débâcle a remporté trois prix, s'est vendu à 185 000 exemplaires en Flandre, et son autrice de 29 ans, Lize Spit, est devenue le phénomène littéraire de l'heure. Maintenant que Het Smelt vient d'être traduit du néerlandais au français, on peut comprendre parfaitement pourquoi ce premier roman a connu un tel succès.

Dans un village morne de la campagne flamande, Eva, la narratrice, vit dans des conditions misérables avec son père imprévisible, sa mère alcoolique, son frère aîné et sa jeune soeur qui souffre de différents troubles obsessionnels-compulsifs. À l'été 2002, avec ses amis d'enfance Pim et Laurens - ils sont les seuls enfants à être nés au village pendant l'année 1988 -, les trois adolescents joueront à des jeux de plus en plus dangereux.

Lors de ces mois fatidiques, les deux garçons convoquent tour à tour les plus jolies filles de l'endroit, qui devront se déshabiller (ou plus) si elles ne trouvent pas la clé de l'énigme concoctée par Eva, à la fois tortionnaire et victime. Les séances mèneront jusqu'à un après-midi épouvantable où leur amitié, déjà fragilisée, se brisera à jamais.

Le roman se déroule en deux temps, entre cet été caniculaire et fatidique et le retour d'Eva sur les lieux de son enfance, 13 ans plus tard. Mais sa grande force est de distiller les informations au compte-gouttes, tant dans le passé que dans le présent - Quelle est l'exacte teneur de l'énigme? Comment est mort Jan, le frère aîné de Pim? Mais qu'est-ce qu'est venue faire Eva au village avec un bloc de glace dans le coffre de son auto? -, créant un climat oppressant, où on sait que le pire arrivera, mais pas de quel côté il surviendra.

Chaque détail compte dans cet univers glauque et sans issue, et Lize Spit traduit parfaitement cette atmosphère irrespirable, sans concession, mais sans complaisance non plus.

Sa plume est précise, hyper réaliste et dure, mais laisse passer parfois quelques éléments de tendresse qui permettent de deviner ce qu'aurait pu être la vie d'Eva si elle n'avait pas été entourée d'une telle misère affective.

Débâcle est le genre de livre dont on ne peut s'arracher même s'il ne fait pas particulièrement de bien - le dernier quart, alors que tous les fils s'attachent, est à la limite du supportable. Roman sur la cruauté de l'adolescence, les blessures d'enfance et les ravages du silence, le livre de Lize Spit est noir et douloureux, une réussite brillante menée par une raconteuse exceptionnelle et implacable. Elle vous chavirera.

* * * *

Débâcle. Lize Spit. Traduit du néerlandais par Emmanuelle Tardif. Actes Sud. 421 pages.