Existe-t-il un lecteur qui n'a pas, un jour, plongé dans un livre afin d'échapper à ceux qui le ridiculisaient? Et qui, ce faisant, s'est soustrait à la méchanceté tout en trouvant, dans les pages de ce livre, un peu de réconfort? C'est le propos d'un roman graphique chavirant et subtil, inspiré par Jane Eyre de Charlotte Brontë: Jane, le renard et moi, texte de la dramaturge Fanny Britt, illustré par Isabelle Arsenault.

«Tu sais, la scène où t'es dans l'autobus», lance Isabelle Arsenault à Fanny Britt avant de s'interrompre pour reprendre en riant: «Tu sais, la scène où Hélène est dans l'autobus...» Ce lapsus est très significatif: entre son auteure et la petite Hélène qui habite la bande dessinée Jane, le renard et moi, il y a beaucoup de ressemblances.

Hélène, âgée d'une douzaine d'années, subit les railleries sans fondement de petits tyrans de cours d'école. Son histoire se déroule dans le milieu des années 80, à Montréal, avec des références discrètes à The Police, aux ninjas et au nombre croissant de familles monoparentales. Seule «tricherie» assumée par l'auteure: la chanson Les fros de Richard Desjardins, évoquée dans cette BD tout public, n'est sortie qu'en 1993. Mais sinon, l'histoire d'Hélène, c'est celle de Fanny.

Fanny Britt en convient, Jane, le renard et moi est un journal intime rétrospectif, parsemé de «noms fictifs» pour préserver l'anonymat des véritables protagonistes. «C'est presque impudique comme texte, ajoute-t-elle. C'est vraiment quelque chose que j'ai vécu, quand les filles de ma classe ont décidé de dire que j'étais grosse et ceci et cela. C'est l'année où j'ai réalisé que les pas fines existent.»

Remplies de détails charmants, les illustrations de la vie quotidienne d'Hélène sont entrecoupées de vignettes colorées. Lorsqu'elle lit Jane Eyre, à laquelle elle s'identifie, la fillette voit littéralement la vie en couleurs. Mais quand elle doit aller dans une colonie de vacances en compagnie de ses intimidatrices, c'est le noir qui prédomine. «Je voulais une imagerie victorienne, qui rappelle l'époque de Jane Eyre, explique Isabelle Arsenault. Je me suis inspirée des films d'époque, très contrastés.»

Est-ce parce qu'elles ont plus d'un point en commun que Fanny Britt et Isabelle Arsenault ont réalisé une bande dessinée aussi organique? Fanny a 35 ans et Isabelle, 34. Toutes deux sont des «exilées des régions». La première est née à Amos et est arrivée à Montréal à 3 ans; la seconde est originaire de Sept-Îles, a déménagé dans la métropole à 8 ans.

Surprise: Isabelle ne connaissait Fanny que de nom quand elle a reçu son texte de 16 pages, divisé en «chapitres». Elles se sont ensuite consultées jusqu'à ce que Fanny écrive sa version définitive. Isabelle s'est alors mise à l'ouvrage et Fanny n'est plus jamais intervenue.

Depuis, elles ont de nouveau collaboré: Fanny a traduit l'album pour enfants Virginia Wolf, illustré par Isabelle, en lice pour un Prix littéraire du Gouverneur général; même chose pour Fourchon, qui vient de remporter le Prix jeunesse des libraires du Québec 2012, catégorie 0 à 4 ans.

Délicieuse ironie: la bande dessinée Jane, le renard et moi est tellement juste que les droits pour la version anglaise ont fait l'objet d'enchères, remportées par les éditions torontoises Groundwood Books. Une première pour les éditions de La Pastèque. «C'est aussi la première fois que je suis traduite et publiée en anglais, moi qui ai adapté de l'anglais au français plusieurs pièces!» lance une Fanny étonnée.

Normal, l'intimidation, la méchanceté, tout comme l'amitié et la lecture, sont des thèmes universels. «Et puis, conclut Fanny Britt, il y a une chose qui est vraie partout et que je voulais démontrer par cette histoire: tu n'es pas obligée d'être conforme à la norme pour être une bonne personne!»

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Jane, le renard et moi. Fanny Britt et Isabelle Arsenault. La Pastèque, 104 pages.

Les projets de Fanny Britt

Bien des gens ont découvert Fanny Britt en regardant l'émission Tout le monde en parle du 28 octobre: c'était là sa toute première entrevue télévisée! Mais pour les fervents de théâtre, son nom est un gage de qualité depuis 12 ans.

D'abord adaptatrice de talent, puis dramaturge douée et mordante, la jeune femme n'a cessé de travailler depuis ses études en écriture dramatique à l'École nationale de théâtre.

La période 2012-2013 ne fait pas exception: sa pièce Bienveillance a quitté les planches de l'Espace Go fin octobre, et Cul-de-sac est présentée à Moncton en novembre.

Ses adaptations théâtrales portées à la scène cette année: Orphelins (Orphans du Britannique Dennis Kelly), Grain (s) (Seeds de la Québécoise Annabel Soutar) et Amour/argent (Love & Money, aussi de Kelly).

Fanny Britt vient aussi de signer un texte percutant dans la revue Nouveau Projet sur l'image de soi dans Facebook (l'essai lyrique Faux-self, mon amour).

Jane, le renard et moi