François Hollande vit un moment de grâce avec les Français depuis la sortie de ses mémoires politiques. Dans Les leçons du pouvoir (Stock) - devenu un best-seller avec 110 000 exemplaires vendus à ce jour -, l'ex-président revient sur les petits et grands moments de son quinquennat. M. Hollande sera de passage à Montréal vendredi à l'invitation du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM). Nous nous sommes entretenue avec lui.

Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre?

Je pensais qu'il était important de donner à mes concitoyens un regard sur ce qu'avait été le quinquennat de mon propre point de vue. Je ne savais pas exactement quand le publier, je ne voulais pas le faire trop tôt ni trop tard. J'ai pensé qu'après un an de retrait, je pouvais davantage donner - sans prétention politique et arrière-pensée - mon regard sur le pays.

Y a-t-il eu des chapitres ou des passages plus difficiles que d'autres à écrire?

Le plus difficile, c'est de revenir sur ce qu'est la vie d'un président parce que ça renvoie à des sujets d'ordre privé qui sont toujours très difficiles à aborder. Je ne pouvais pas être dans l'exhibition, je ne l'avais jamais été. Je ne voulais pas non plus être dans l'occultation de ce qu'avait été ma vie à l'Élysée. Je voulais dire ce que j'avais pu ressentir parce que c'est compliqué d'avoir une vie personnelle en même temps qu'une vie au plus haut niveau de l'État. Je voulais aussi revenir sur les attaques. L'opinion publique ne se rend pas compte de ce que peut être la cruauté de certains réseaux sociaux, des commentaires qui peuvent être émis. Je voulais restituer ce qui avait été mon sentiment. Il y a aussi le chapitre qui était sur ma décision de renoncer à me représenter - et qui a été l'acte le plus difficile pour moi.

Qu'avez-vous appris sur vous-même ou sur votre présidence en rédigeant cet ouvrage?

Le recul qui est indispensable pour écrire m'a permis de relativiser certaines épreuves du quinquennat, et de m'attacher aux plus lourdes. J'ai pu dire ce que j'ai vraiment connu au moment des attentats, par exemple, ce qui n'était pas possible en tant que président. Un président ne doit pas faire étalage de ses états d'âme. Il ne doit pas montrer qu'il est sensible ou ému par des événements pourtant majeurs. Il doit montrer de la fermeté, de l'humanité aussi. Là j'ai pu restituer ce qui avait été mon propre cheminement et la gravité des choix que j'avais à faire. Ça redevenait possible après avoir quitté le pouvoir.

Vous vous êtes toujours présenté comme un président normal. Avec le recul, diriez-vous de votre présidence qu'elle a été normale?

J'ai insisté beaucoup sur le caractère humain de la présidence de la République, c'est-à-dire que celui ou celle qui exerce cette fonction doit être capable non pas d'être un citoyen comme les autres - il ne peut pas l'être -, mais de comprendre les citoyens, d'être maître de ses sentiments et de ses émotions, et de ne pas tomber dans la passion, les excès, voire les provocations. Cela avait été très bien compris lorsque j'avais été candidat, peut-être moins lorsque j'ai été président. Mais j'ai le sentiment en rencontrant les lecteurs aujourd'hui, lors de mes séances de dédicace en France, que cette conception-là est beaucoup mieux comprise...

Avec le recul, que feriez-vous différemment?

Il y a des décisions que je n'aurais pas prises, notamment sur la question de la déchéance de la nationalité [NDLR: cette décision a provoqué la démission de la garde des Sceaux, Christiane Taubira]. Il y a des nominations que je n'aurais pas faites, de personnes qui se sont révélées manquantes à l'exemplarité. Ainsi que des choix sur des questions d'économie et de fiscalité. C'est ce que je voulais de ce livre : qu'il ne soit pas seulement la défense de mon bilan, mais aussi qu'il puisse servir aux générations suivantes - aux responsables politiques comme aux citoyens.

PHOTO PHILIPPE HUGUEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L'ex-président de la République française François Hollande discute avec un lecteur lors d'une séance de dédicaces à Lille, au mois de juin.

Vous avez visité plusieurs librairies en France, et les Français se déplacent en grand nombre pour venir vous rencontrer. Que vous disent-ils?

Il y a trois remarques qui reviennent sans cesse, quel que soit le lieu où je me rends: d'abord, un sentiment de gratitude par rapport à la question des attentats. Ensuite, une reconnaissance d'humanité dans un monde qui l'est de moins en moins, avec un populisme et un autoritarisme qui, hélas, s'installent dans beaucoup de capitales. Et enfin, une grande inquiétude par rapport au chaos du monde, aussi bien sur les questions de climat que sur les questions du Moyen-Orient ou sur la montée du populisme en Europe. Beaucoup de Français qui avaient espéré un renouvellement politique sont aujourd'hui inquiets du manque d'ordre, de compréhension et de solutions. S'il y a un mot qui revient souvent, c'est ça: il y a quelque chose ou quelqu'un qui manque.

Avez-vous l'impression que les Français vous redécouvrent sous un autre jour après ce qui aura été, en quelque sorte, un rendez-vous raté?

Je ne suis pas naïf ou narcissique au point de penser qu'il y a d'un seul coup une popularité qui viendrait effacer mon impopularité d'hier. Ce que je crois, c'est que les Français découvrent une personne qui est plus libre, car dans la fonction [de président], il est très difficile de donner le vrai caractère, l'authenticité de la personne. Il y a des règles, des protections, des protocoles. Donc, je suis maintenant plus en rapport direct avec les Français, comme je l'étais avant d'être président. Et cette liberté-là - et mon désintérêt, parce que je n'ai pas d'ambition particulière ou de suffrage à briguer - est sans doute ce qui fait le charme.

Les gens vous demandent aussi si vous comptez vous représenter en politique?

Oui, bien sûr, ils me posent la question. C'est pour ça que je ne leur réponds pas...

Et rares sont les textes qui n'y font pas allusion...

Oui. Et le vôtre, bien sûr, fera exception, j'en suis certain... [rires]

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Les leçons du pouvoir. François Hollande. Stock, 288 pages.

PHILIPPE HUGUEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des lecteurs font la file devant une librairie pour assister à une séance de dédicaces de l'ancien président François Hollande, à Lille, le 18 juin.