La révolution sexuelle des années 60? Elle n'a pas eu lieu, selon Lili Boisvert. Dans Le principe du cumshot, son premier livre, l'animatrice de Sexplora et cocréatrice de la websérie Les brutes livre une charge à fond de train contre le cliché de la sexualité féminine passive. À l'aide de statistiques, d'entrevues et d'exemples choisis dans la culture populaire, la journaliste décortique les mythes persistants qui confinent les femmes au rôle d'objet sexuel soumis au désir des hommes. Un stéréotype qui serait à l'origine de plusieurs malentendus et qui expliquerait, en partie du moins, la culture du viol. Entrevue avec une jeune femme qui remet en question les idées reçues.

Q: Le principe du cumshot, c'est quoi?

R: Le cumshot, c'est le plan final, dans un film porno, lorsque l'acteur éjacule sur le corps de la femme. Mon livre ne parle pas de porno, mais je me sers de cette image parce que c'est une belle illustration de notre conception de la sexualité hétérosexuelle. Un désir sexuel qui part spontanément et de manière unidirectionnelle de l'homme vers la femme. La sexualité d'une femme, c'est de recevoir la charge du désir de l'homme et de s'en délecter. L'homme est producteur et la femme est la cible. C'est ultra-problématique.

Q: D'où vient cette conception de la sexualité féminine, selon toi?

R: De plusieurs sources. Des siècles d'infantilisation des femmes, d'une dynamique de domination, d'un retour du bâton après une deuxième vague de féminisme dans les années 70. En matière d'égalité des sexes, il y a non seulement un retard, mais aussi un recul. Je cite des données dans mon livre sur la violence et l'humiliation dans la pornographie qui sont en augmentation depuis les années 70. L'objectification du corps de la femme aussi a augmenté au cours des dernières décennies. Tout ça est lié au fait que les femmes ont plus de pouvoir politique et économique. C'est comme si on leur disait: n'oubliez pas que vous êtes des subalternes.

Q: Tu dis que les vêtements nous conditionnent à ces stéréotypes de la sexualité. De quelle manière?

R: Je pense que les vêtements, c'est la base de tout. Nous sommes dans une logique de ségrégation sexuelle qui a imprégné notre culture et qui renforce les stéréotypes de genre. Pourquoi c'est juste les personnes qui naissent avec un vagin qui portent des vêtements moulants, des talons hauts, des décolletés plongeants? Et pourquoi, quand tu nais avec un pénis, tu ne peux pas porter des jupes ou des robes sans obligatoirement devoir t'identifier comme femme? Dans certaines cultures, les hommes se maquillent et portent des robes. Tout ça, c'est une construction sociale alors qu'on le prend pour une fatalité. On ne donne même pas le choix aux hommes et aux femmes de choisir comment ils souhaitent s'habiller. Prenons le soutien-gorge! Une fille commence à avoir des seins, elle doit en porter un. C'est non négociable. Moi, je trouve ça inconfortable, est-ce que je peux juste ne pas en porter? C'est un des éléments du principe du cumshot. La femme doit s'habiller pour exciter le désir de l'homme. Elle doit être attrayante, sacrifier son confort. Pourquoi ce ne serait pas aux hommes d'être attrayants pour susciter le désir des femmes?

Q: Tu écris dans ton livre que cette passivité de la femme peut expliquer en partie la culture du viol. Peux-tu expliquer?

R: Quand on parle de la culture du viol, on omet d'aborder le fait qu'on considère normal qu'une femme ne participe pas à la sexualité, que c'est normal, en tant que réceptacle de plaisir, de se laisser utiliser. Que les hommes finalement considèrent que c'est plus ou moins normal qu'une femme soit uniquement en mode réaction. Or si la personne fige quand tu la touches, il devrait y avoir un signal d'alarme qui sonne dans ton cerveau. Tu devrais te dire: voyons, qu'est-ce qui se passe? Or le signal ne sonne pas parce qu'on t'a toujours dit - le discours dans la société renforce cette idée - que c'était normal que les femmes soient passives dans la sexualité. C'est ça qui est dangereux.

Q: La liberté sexuelle, c'est quoi pour toi?

R: C'est le jour où nos organes génitaux ne détermineront plus nos comportements sexuels, un monde dans lequel on fera éclater les clichés et où parler de la sexualité ne dérangera plus.

Q: À ton avis, est-ce que les minorités sexuelles peuvent nous aider à faire éclater les clichés dont tu parles?

R: Je pense qu'on est à l'aube d'une révolution sexuelle, entre autres grâce aux minorités sexuelles et à la non-binarité qui est quelque chose de tout nouveau dont on n'entend pas beaucoup parler. On réalise qu'il y a beaucoup de jeunes qui se revendiquent non binaires et ça remet en question notre conception qu'«un gars, c't'un gars, pis une fille, c't'une fille». Ça permet de mettre en doute ces modèles-là. Bien sûr, il y a des affaires qui ne changent pas: les hommes et les femmes ont des organes génitaux différents. Mais pourquoi ne pas admettre qu'une personne n'a pas besoin d'organes génitaux féminins pour s'identifier comme femme? Ou que tu peux aussi avoir des organes féminins, t'identifier comme femme et ne pas te comporter comme femme sans que ce soit un enjeu?

Q: D'où vient ton intérêt pour la sexualité en tant que sujet d'étude?

R: C'est en lisant Nelly Arcan que s'est fait le déclic. Je me suis dit: OK, je ne suis pas la seule qui a un malaise face à la manière dont on représente la sexualité des femmes. La sexualité hétérosexuelle est basée sur l'idée que la femme est accessoire. On nous ramène toujours à un rôle d'objet désiré et non de sujet désirant. J'ai découvert en la lisant qu'il y avait des femmes qui écrivaient sur ce genre de sujet. C'est ma première prise de conscience féministe. J'avais 18 ans et mon féminisme est né de là.

Le principe du cumshot - Le désir des femmes sous l'emprise des clichés sexuels

Lili Boisvert

VLB

250 pages

image fournie par VLB