Dans une expérience de création qui permet aux mondes de l'illustration traditionnelle et de la production numérique de se rencontrer, la maison d'édition La Pastèque lance aujourd'hui Tout garni, un projet numérique interactif qui réunit 12 illustrateurs de talent, dont Isabelle Arsenault, Jacques Goldstyn et Julie Rocheleau. Nous en avons parlé avec les deux maîtres d'oeuvre du projet, Frédéric Gauthier, de La Pastèque, et la productrice Vali Fugulin.

Le projet

C'est après avoir travaillé avec l'illustrateur Patrick Doyon sur le jeu J'aime les patates que la réalisatrice Vali Fugulin a pris contact avec La Pastèque il y a un an. «Elle avait trouvé ça très inspirant», raconte Frédéric Gauthier, qui a tout de suite été intéressé par sa proposition. Heureux hasard: presque au même moment, la SODEC lançait un appel pour des projets numériques. La Pastèque a soumis le sien, qui a été choisi et a bénéficié d'un budget d'environ 200 000 $. «Ça faisait longtemps qu'on y pensait, mais c'est la première fois qu'on a des sous pour ça, dit Frédéric Gauthier. Le monde de l'applicatif, c'est un marché qui est vaste, mais dont la portion francophone est minuscule. Si tu n'as pas de budget pour en faire la promotion, pour le faire avancer, ça ne donne rien.» L'application sera d'ailleurs offerte sur le site de Télé-Québec, et Frédéric Gauthier partira bientôt à la recherche de diffuseurs français.

L'histoire

Même si Tout garni est un projet de recherche et développement, il était important qu'il garde la signature de La Pastèque. «C'est dans la lignée de notre travail éditorial, soit de raconter une bonne histoire, dit Frédéric Gauthier. La méthode change, mais l'esprit reste le même.» Chaque mois pendant un an, Tout garni suivra les aventures d'Arthur le livreur de pizza, qui sonne aux différents appartements d'un immeuble pour retrouver la personne qui l'avait commandée. C'est André Marois, auteur du formidable Voleur de sandwich, qui en a écrit le scénario. Chaque illustrateur avait ensuite un peu de latitude pour raconter son chapitre, de Pascal Girard en janvier à Guillaume Perreault en décembre en passant par Pascal Blanchet en juin et Julie Rocheleau en novembre. «Il y aura de l'interactivité, mais c'est surtout le dernier épisode qui est ouvert, dit Frédéric Gauthier. Nous voulons bâtir une fidélité, faire participer les gens. Et André a imaginé tout un punch... On va jouer avec ça.»

Le mélange des genres

«Il y a beaucoup de talents dans le numérique. C'est une industrie foisonnante, dynamique, mais parfois, c'est bon pour eux de s'associer à des créateurs qui viennent d'autres milieux», dit la directrice de l'équipe numérique, Vali Fugulin, qui aime que les gens ne travaillent pas en silo. L'idée n'était pas de forcer les illustrateurs à travailler à l'ordinateur, mais plutôt de leur donner accès à une nouvelle boîte à outils, à une autre palette. «Plusieurs ont travaillé de manière traditionnelle, ils n'ont pas eu besoin d'abandonner leur crayon», explique-t-elle. Chacun a choisi la manière dont il allait raconter son histoire, qui va du jeu aux 360 degrés en passant par l'animation légère et la réalité virtuelle. «Le rôle de l'équipe numérique est de rendre leurs idées possibles. C'est une création partagée et en continu. En plus, ils nous ont beaucoup surpris avec leurs idées, c'est très excitant. Mélanger les genres, ça fait plus que "un plus un égale deux", ça donne cinq.»

L'avenir

Frédéric Gauthier ne sait pas où tout cela mènera La Pastèque, mais l'avenir est «plus facile à imaginer» maintenant que l'exploration est commencée. «Le croisement des styles permet d'avancer vers autre chose et de réfléchir à ce que pourrait être le volet numérique de nos productions », dit-il, précisant que le livre papier reste la base de la maison qu'il a fondée il y a près de 20 ans. Vali Fugulin, elle, est épatée par toutes les possibilités entrevues avec Tout garni. « Surtout que la technique se développe tellement rapidement! C'est certain qu'il y aura un an 2», dit celle qui se voit comme une entremetteuse ayant permis l'union de deux mondes, et dont le résultat est un nouveau type de création. «C'est vraiment un mariage heureux.»

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Pour accéder à la première histoire de Tout garni: toutgarni.com

Illustration Pascal Girard, fournie par La Pastèque

Arthur le livreur de pizza de Tout garni, tel que dessiné par Pascal Girard

Le projet Tout garni vu par trois de ses illustrateurs

Pascal Girard

C'est Pascal Girard (La collectionneuse, Jimmy et le Big foot) qui ouvre le bal en janvier avec Les artisses. «J'ai fait quelque chose d'assez simple, car il fallait mettre l'histoire en place, dit l'illustrateur. Ce sera une BD défilante, il y aura aussi un peu d'animation», précise celui qui a utilisé sa méthode de travail habituelle, soit l'aquarelle. Pascal Girard n'avait jamais travaillé pour un projet numérique. «La grande différence, c'est qu'on travaille davantage en équipe. Il y a plusieurs têtes et plusieurs mains qui collaborent, alors qu'en BD, on travaille la plupart du temps tout seul», dit-il, ajoutant qu'il a bien hâte de voir ce qu'ont fait ses collègues.

Geneviève Godbout

Geneviève Godbout, auteure de l'album Rose à petits pois, prendra le relais de Pascal Girard en février avec Les enfants. Celle qui vient du milieu de l'animation avait un peu touché au numérique et a pris plaisir à y replonger... avec ses crayons et ses pastels. «Après, il fallait tout scanner, il y a plein de normes techniques à respecter. Puis le département numérique leur donne vie.» L'histoire de Geneviève Godbout se déclinera sous forme de mini-jeu. «Je me suis dit pourquoi pas? Essayons quelque chose... Lorsque nous avons eu une journée de formation, nous avions tous les yeux ronds, on se demandait tous ce qu'on ferait. Puis on s'est pris au jeu.»

Rémy Simard

Rémy Simard (Ligue de garage, Mes Dinky), qui s'occupe du mois de mars, dessine déjà par ordinateur. «Ça ne me faisait pas peur. Et j'avais le goût d'essayer, j'étais curieux.» Son histoire, intitulée Les ours, s'animera dans un 360 degrés selon l'orientation des tablettes et des téléphones. «Il y a beaucoup de données techniques pour cet aspect. J'avais peur que ce soit compliqué, mais non, finalement. J'ai été surpris de voir comment j'ai bien réussi à m'adapter.» L'expérience a été stimulante pour Rémy Simard. «C'est intéressant à explorer. J'ai vu qu'il y avait moyen de faire quelque chose de simple tout en restant intéressant.» Il n'a cependant pas encore vu le résultat final de son travail. «J'attends toujours un téléphone! S'ils ne m'ont pas appelé encore, j'imagine que ça doit marcher...»

Illustration Rémy Simard, fournie par La Pastèque

Les ours, de Rémy Simard, sera publié en mars.