Qu'est-ce qui fait un romancier ? Une plume agile et un imaginaire foisonnant ou simplement une bonne histoire à se mettre sous la dent ? Que sait-on vraiment du passé de ceux qui nous ont donné la vie ? Tout secret de famille est-il bon à dévoiler ?

David Homel, dans La fille qui parlait à la lune, revisite les bas-fonds de Chicago des années formatrices de sa mère, tout en soulevant en filigrane ces grandes questions sur la création artistique. Dans une danse entre le passé et le présent, où plusieurs niveaux narratifs s'entrelacent, La fille qui parlait à la lune en arrive à décrire « le phénomène de l'écrivain amoureux de son histoire, de son "matériel" ».

« Ça a l'air un peu mystique, romantique, mais dans le cas de mes romans "familiaux", c'est réellement ce qui se passe », souligne cet incontournable du paysage littéraire montréalais.

Ce jour-là, David Homel nous a donné rendez-vous dans un café du Mile End, que l'on devine être son quartier général. Romancier, traducteur, critique à ses heures, David Homel n'a pas grand-chose en commun avec Joey Krueger, narrateur de La fille qui parlait à la lune, quinquagénaire peu porté sur les livres, qui s'est enrichi avec une entreprise de nettoyage industriel. À l'instar de Joey, David Homel a une mère qui a émigré aux États-Unis et fait les quatre cents coups avec une cousine qui était pour elle presque une soeur...

Coïncidence ou conspiration ?

« Je suis parti de personnages réels », concède David Homel, qui a puisé (avec « 100 % de liberté », précise-t-il) dans la biographie de sa mère plusieurs éléments pour construire une histoire forte en rebondissements. Deux héroïnes, Bella et Bluma, émergent comme des archétypes féministes des années 30. Tandem inséparable qui chemine parmi les gangsters et les truands du Chicago de l'époque de la prohibition, les deux cousines vivent une jeunesse semée d'obstacles mais marquée par une grande liberté.

Le contraste est fort, donc, entre Joey le banlieusard, qui cherche la fontaine de jouvence dans ses colorations capillaires et trouve un réconfort sentimental et extraconjugal auprès de sa voisine, et ses aïeules qui, trop jeunes, font face aux périls de la rue et perçoivent le mariage comme la plus oppressive des issues... Deux générations aux antipodes, donc, mais qui, selon Homel, sont à l'image de bien des schémas familiaux.

« Chez les migrants, certaines choses restent toujours dans le silence. »

« Évidemment, tout ce qui touche à la guerre, on n'en parle pas. C'est typique : il y a toujours une génération qui "couvre", puis ensuite une autre qui "découvre" », songe l'écrivain, qui a pu compter sur la riche mémoire d'une lointaine cousine née en Russie, qui elle-même est retournée sur les lieux d'origine de sa mère. « Elle m'a appris comment son village avait été détruit, non pas par les nazis, mais par les autres Lithuaniens. »

Enfants de la balle

« Je me suis imposé une structure à deux temps, c'était pour moi la seule façon d'écrire un roman historique tout en l'ancrant dans le monde actuel. Ça a donné un roman à deux mondes. Mais depuis que Hollywood a inventé le flash-back, il est acceptable de vivre dans deux mondes », réfléchit David Homel.

Souvenirs, fiction et désirs se côtoient et s'entrechoquent. Parmi la liste d'éléments autobiographiques qui ont inspiré cette histoire, il y a la visite du FBI à la maison, qui peuple les souvenirs de l'enfance américaine de David Homel.

« Se joindre aux communistes était un secret redoutable dans les années 50. On fait des gestes dans la jeunesse qui reviennent parfois nous hanter à l'âge adulte. Dans le cas de Bluma, ce geste - l'adhésion au communisme - était tout à fait innocent sur le moment. Mais l'histoire, depuis, l'a rendu traumatique... »

La surprise, pour Joey qui cherche à combler un vide dans sa vie en s'intéressant au passé de sa mère, est de constater que l'auteure de ses jours est plus intéressante et vibrante que lui. « Bluma est plus "délinquante" que ne le pense son fils. Il se trouve presque en compétition avec elle, qui risque de le dépasser dans ses aventures. »

Mais pour être certain que son héros ne soit pas en reste, sur le plan des émotions fortes, l'auteur lui réserve quand même une jolie escapade sentimentale, de l'autre côté de la clôture conjugale. « Je voulais écrire sur l'amour dans la cinquantaine. On pense parfois que l'amour n'appartient qu'à la jeunesse, mais nous savons que cela peut se continuer. En quelque sorte, c'est un peu la "récompense" de Joey. Il est bonifié comme homme, comme être humain. »

Preuve que ce n'est jamais fini. Et que, dans les tiroirs des vieilles dames aux cheveux blancs, se cachent parfois de rocambolesques aventures du temps de la prohibition...

La fille qui parlait à la lune, David Homel, Traduit de l'anglais par Marianne Champagne, Leméac, 382 pages

LEMÉAC

La fille qui parlait à la lune, de David Homel