Cité des livres, lieu de pèlerinage et abbaye, le symbolique Mont-Saint-Michel est un véritable personnage dans le très beau nouveau roman de Dominique Fortier, Au péril de la mer.

On y apprend que les mots « livre » et « liberté » partagent la même étymologie, liber. Les livres et la liberté permettent à l'humain, bien souvent, de garder la tête au-dessus de la ligne de flottaison, de rester en vie.

Jour après jour, deux fois plutôt qu'une, le Mont-Saint-Michel résiste ainsi à la crue des eaux. Forteresse dans la plaine marine, il s'élève, il défend la langue, le savoir, l'intelligence.

Il crée parfaitement le lien aussi entre les deux récits qui s'entrecroisent autour de l'amour des livres : la narratrice-romancière qui y cherche l'inspiration et un peintre qui y échoue après la mort de son aimée.

La narratrice est déchirée entre son désir d'écrire et son besoin des mots - qui expliquent le monde et qui donnent un sens à l'existence - et sa nouvelle vie de maman consacrée presque entièrement à sa fille.

« L'écriture s'accompagne désormais d'une hâte et d'une culpabilité détestables », écrit-elle d'ailleurs.

Le peintre, lui, survit avec le souvenir de celle dont il a fait le portrait et qu'il a aimée passionnément. Avant sa mort. Repêché de sa détresse par un cousin moine, il aboutit au Mont-Saint-Michel, où il devient copiste grâce à ses qualités de dessinateur, lui qui n'a jamais su lire.

Dans les deux cas, l'écriture salvatrice permet de respirer à nouveau, de renaître et d'espérer.

Tout le long de ces sauvetages en haute mer (mère), l'écriture de Dominique Fortier est portée par une langue riche, belle et évocatrice. L'emploi récurrent de mots issus du vieux français ajoute une patine pertinente à ce voyage empreint de moments touchants, lumineux.

« Si on aperçoit toujours le scintillement des astres disparus, il y a des soleils dont on ne voit pas encore la lumière et qui pourtant sont là, flamboyants au milieu des ténèbres parfaitement invisibles. »

Les livres sont des astres, des phares, des soleils de liberté. Ils ne nous atteignent pas toujours, mais ils existent. Heureusement.

Dominique Fortier plonge dans les tréfonds du paradoxe humain et en émerge avec cet amour des livres qu'elle partage avec grâce et générosité.

Au péril de la mer, Dominique Fortier, Alto, 171 pages, ****