Les artisans de La courte échelle, qui n'ont toujours pas reçu de redevances pour leurs livres vendus en 2013 et en 2014, ne sont pas au bout de leurs peines. Deux semaines après la publication d'une première demande de soumissions pour le rachat des actifs de la maison d'édition, le syndic de faillite retourne à la case départ. Un nouvel appel d'offres a été lancé hier.

Selon ce qu'a appris La Presse, les premières offres reçues n'ont pas satisfait les cinq inspecteurs dans ce dossier. Ceux qui veulent se porter acquéreurs de l'entreprise ont désormais jusqu'au mercredi 12 novembre pour signifier leur intérêt. Entre-temps, quelque 130 écrivains et illustrateurs n'ont toujours pas touché leurs droits d'auteur des derniers mois, une somme qui s'élèverait à 320 000$, selon certaines estimations.

Dans le cas de la populaire romancière Chrystine Brouillet, la somme qui lui est due est imposante: 65 772$. La Presse a tenté de lui parler hier, mais son agent, Patrick Leimgruber, a expliqué qu'elle ne voulait pas commenter l'affaire.

«Cette histoire la touche beaucoup. Vous comprenez qu'elle se retrouve en première ligne. Ça lui fait beaucoup de peine et elle considère que cette situation n'est pas triste que pour elle, mais aussi pour tous les auteurs et illustrateurs impliqués», nous a-t-il expliqué.

En coulisse, les artisans de La courte échelle - dont certains refusent de parler publiquement pour ne pas nuire aux procédures en cours - se disent fâchés et impuissants. Certains estiment que le syndic de faillite n'est pas assez transparent et déplorent qu'il les tienne peu à jour de l'évolution du dossier.

«Il faut que ça se règle rapidement»

Sylvie Desrosiers a publié son premier roman jeunesse mettant en vedette le chien Notdog à La courte échelle, en 1987. Véritable succès, sa série a depuis été republiée à quelques reprises sous forme de recueils. Mais aujourd'hui, elle est inquiète. Comme tant d'autres, la romancière ne sait pas si elle retrouvera bientôt ses droits d'auteur afin de poursuivre sa série ailleurs.

Le syndic Raymond Chabot a récemment expliqué aux auteurs et illustrateurs qu'ils ne pouvaient pas récupérer leurs droits sur les oeuvres publiées, même si cela était pourtant inscrit dans les contrats en cas de faillite en vigueur au Québec selon les dispositions de la Loi provinciale sur le statut professionnel des artistes.

Selon le syndic, c'est la loi fédérale qui prévaut, dont certaines dispositions invalident cette clause des contrats.

«En apprenant ça, c'est comme si une bombe nous tombait sur la tête. Nous avons été dépossédés de nos livres, c'est épouvantable», a expliqué l'auteure à La Presse depuis les berges de la Peace River, dans le nord de l'Alberta, où elle fait la promotion ces jours-ci de ses livres auprès d'écoles primaires francophones de la province.

«On est impuissants, parce que ça se joue en partie au-dessus de nous, au niveau juridique. C'est un conflit entre deux lois. Même une grande vedette de la littérature comme Chrystine Brouillet ne peut pas reprendre les aventures de Maud Graham», a dit Mme Desrosiers, en faisant allusion au personnage qui a propulsé sa collègue romancière dans la célébrité.

La semaine dernière, la ministre de la Culture, Hélène David, a affirmé à l'Assemblée nationale qu'elle travaillait sérieusement afin d'aider les auteurs et illustrateurs de La courte échelle à récupérer les sommes qui leur sont dues.

Questionné hier à savoir si Québec allait contester le fait que les dispositions d'une de ses lois étaient invalidées par une loi fédérale, l'attaché de presse de Mme David a répété que la ministre était en contact étroit avec les acteurs du milieu littéraire pour «aller chercher les plus grandes sommes possible pour les auteurs», sans s'avancer sur les formalités juridiques de l'affaire.

«Le bateau avait coulé et on ne le savait pas»

Valérie Fraser a connu un début de carrière canon dans le monde littéraire grâce à un premier livre, Le jour où j'ai arrêté d'être grosse, publié l'hiver dernier chez une filiale de La courte échelle.

Quelques mois plus tard, elle s'est même fait offrir de renouveler l'expérience, cette fois-ci avec un livre de recettes et des romans de fiction. À ce moment-là, elle n'aurait jamais cru que la maison d'édition pourrait faire faillite cet automne.

«Trois jours avant que l'on apprenne dans les médias que la compagnie était en faillite, les gestionnaires faisaient comme si tout était normal. Mais dans le fond, le bateau avait coulé et on ne le savait même pas», a-t-elle raconté à La Presse.

Mme Fraser est bien connue des adeptes des réseaux sociaux. Celle qui s'était lancé le défi de reprendre sa vie en main en publiant une vidéo sur YouTube et en créant une page Facebook qui porte le même titre que son livre est aujourd'hui confrontée à une nouvelle problématique: ne pas être payée pour le travail qu'elle a accompli avec l'aide d'une coauteure.

«On n'a pas encore touché aux droits d'auteur de notre livre, sauf une avance qui nous avait été donnée au moment de sa publication. On est déçues et surtout très fâchées envers La courte échelle, pour le peu d'information qui nous a été donnée», a expliqué Mme Fraser, qui attend toujours de recevoir un chèque de près de 4500$.

En date du 30 octobre dernier, la somme qui était due aux créanciers non garantis - un groupe qui inclut entre autres les auteurs et illustrateurs - s'élevait à 1 225 000$. Pour l'ensemble des créanciers, la somme s'élevait plutôt à plus de 4 millions de dollars.