Avec son regard perçant, ses cheveux blancs et sa frêle charpente, il ne faut pas un grand effort d'imagination pour voir en lui le druide de la croyance populaire, le «très savant», celui qui sert d'intermédiaire entre les dieux et les hommes. Normand de Bellefeuille ne porte ni la barbe ni la serpe de Panoramix mais il partage avec le druide du célèbre village gaulois certaines qualités et responsabilités de la profession.

La sagesse, d'abord, on l'a déjà dit. Normand de Bellefeuille évolue dans le milieu du livre depuis plus de 30 ans en tant qu'auteur, critique, éditeur et directeur littéraire, poste qu'il a occupé pendant 13 ans chez Québec Amérique (Q.A.). Avec Luc Roberge et Anne-Marie Villeneuve, deux autres anciens de Q.A., il s'est joint l'automne passé à Druide Informatique pour faire naître les Éditions Druide, nouvel arrivant dans le panorama éditorial québécois.

«Je n'aime pas ce titre de directeur littéraire», nous dira d'emblée l'ancien prof du cégep de Maisonneuve, au cours d'une entrevue où il nous a parlé de l'entrée de Druide sur la grande place du livre. «Je ne dirige rien. Je conseille, je suggère, j'accompagne.» Reste qu'il a un peu choisi ceux qu'il désirait accompagner et qui se divisent en deux groupes.

«Nous ne voulions pas faire de maraudage. On s'est dit: les gens vont savoir que Druide s'en vient et ceux qui voudront travailler avec nous vont se manifester.» Parmi les auteurs établis avec qui l'un ou l'autre du triumvirat de Druide partage «de belles histoires de fidélité», on retrouve d'abord Alain Beaulieu, un ancien de Q.A. qui a publié son dernier roman (Le Postier Passila) chez Actes Sud/Leméac. Pour lancer la collection Écarts - à prendre dans le sens de «marginal» -, Beaulieu arrive avec Quelque part en Amérique, un roman... américain «un peu road novel» où le rêve et le cauchemar voyagent ensemble.

François Desalliers (L'Homme-café) présente La fille du vidéoclub où le héros loue des films porno dans une banlieue près de chez vous. «Lui trop blanc, elle parfaitement noire.» Mais le vidéoclub loue aussi des films en couleur... Martin Robitaille, prix Ringuet 2009 de l'Académie des lettres du Québec pour Les déliaisons, son premier roman (Q.A.), revient avec En chemin de t'ai perdu, roman «écartillé» entre la France et le Québec.

L'autre champ dans lequel Normand de Bellefeuille doit faire appel à ses qualités druidiques est la découverte de talents nouveaux. Cet art divinatoire appliqué au champ littéraire, il le décrit en termes de «pif» et de «flair», toutes qualités subjectives qui se développent lentement, «en lisant». Et de Bellefeuille lit beaucoup. En cherchant quoi? «Le rythme, le souffle, la surprise formelle», qu'il a trouvés chez Emmanuelle Cornu, qui avait envoyé ses 40 (!) nouvelles aux Éditions de la Bagnole, avant que la jeune maison ne soit vendue à Québecor l'an dernier. En janvier, Druide publiera les premiers romans de deux autres «voix nouvelles»: Maude Favreau et Pierre-Luc Landry.

Entre-temps seront lancés mardi 11 septembre les quatre titres «littéraires» précédemment mentionnés plus cinq autres: le Grand Druide des Cooccurences; le polar De pierres et de sang d'André Jacques; Les arbres bleus de Charlevoix, roman non-historique de la prolifique Maryse Rouy; Les charmes de l'impossible de Karine Glorieux que Normand de Bellefeuille met dans la catégorie «chick lit de qualité»; et, finalement, une biographie du pianiste Alain Lefèvre signée Georges Nicholson.

«Oui, c'est une entrée en scène audacieuse pour un nouveau joueur», admet de Bellefeuille tout en expliquant que Druide, de par son siège social qui a commercialisé le correcteur Antidote (www.druide.com), dispose de solides moyens en termes d'expérience, d'appui à la commercialisation... et de capacité d'attente.

«Nous voulions que, au-delà des genres littéraires, notre offre rejoigne tous les lectorats», dira encore Normand de Bellefeuille en répondant lui-même à l'éternelle question: les éditeurs québécois publient-ils trop de livres? «Trop de mauvais, oui, sourit-il. Nous, on s'est donné comme mission de n'en publier que des bons...»

Le guide de Druide ne prétend aucunement détenir le secret de la potion magique littéraire, mais on sent qu'il a confiance en sa nouvelle mixture. Même qu'il voit déjà le prix attaché à la réussite: «Au Québec, le succès est toujours suspect».