Le visage émacié, les cheveux ébouriffés, le dos courbé, l'acteur assis à l'avant-scène n'a plus 20 ans depuis longtemps. Or, durant 80 minutes, sans jamais se lever de son siège derrière une table, Serge Merlin donne une belle leçon de jeu. Sa lecture de l'adaptation du roman Extinction de Thomas Bernhard est un grand moment de théâtre. Il faut courir voir cet acteur français au Prospero, toutes affaires cessantes, car il est de passage jusqu'à samedi seulement, dans le cadre du Festival international de la littérature.

Malgré son impressionnante feuille de route, Serge Merlin n'est pas très connu du public. Pour ceux qui ont vu le film de Jean-Pierre Jeunet, c'est le voisin aux os de verre d'Amélie Poulain. Son refuge, c'est le théâtre. Beckett, Shakespeare, Kleist et, bien sûr, Bernhard. De celui-ci, l'objet de sa traversée de l'Atlantique, il a joué dans une demi-douzaine de pièces avant de porter Extinction à la scène.

Sur un plateau très dépouillé, tamisé par une faible lumière (le décor reproduit l'atmosphère d'un studio de radio, car le spectacle a été créé comme fiction radiophonique pour France Culture, à l'invitation de la réalisatrice Blandine Masson). L'acteur ne fait pas que dire des passages de «l'anti-autobiographie» de l'auteur autrichien: il les vit. À travers les mots qui sortent de sa bouche, l'interprète incarne la conscience de l'auteur. Avec tout ce que celle-ci comporte de zones grises, de doutes, de contradictions... et d'exagération.

«L'art d'exagérer est à mon sens l'art de surmonter l'existence. Plus je vieillis, plus je me réfugie dans mon art de l'exagération», dit le narrateur d'Extinction.

Dans ce livre, écrit peu avant sa mort en 1989, Bernhard règle ses comptes avec sa patrie au sombre passé «national-socialiste catholique». Et aussi avec la famille, la bourgeoisie et les conventions sociales. Ce pays, l'Autriche, qui ne carbure «qu'à l'argent et à la chasse» le répugnera jusqu'à la fin: dans son testament, Bernhard a fait interdire à jamais toutes productions de ses oeuvres en Autriche!

Sous une plume moins habile, ce type de règlement de comptes pourrait laisser un goût amer, voire malsain. Mais le génie de l'écrivain, c'est qu'il arrive à exprimer sa haine obsessionnelle des siens sans tomber dans l'amertume, ni le pamphlet. Le texte est brillant, rempli d'humour et d'esprit, et traversé par une fine lucidité.

Au bout du compte, l'entreprise «d'anéantissement» de ses compatriotes va se diriger contre le narrateur. «En réalité, je ne fais rien d'autre que de me désagréger et m'éteindre moi-même [...]» Le narrateur avoue qu'il a passé sa vie à chercher son enfance perdue; et tout ce qu'il a trouvé, «c'est le vide béant».

À travers son dégoût de la société autrichienne, c'est le tableau de la bêtise humaine, carburant à l'appât du gain, au confort égoïste et à la paresse intellectuelle, que Bernhard exécute. Et il frappe dans le mille!

Extinction, d'après Thomas Bernhard, avec Serge Merlin. Au Théâtre Prospero, jusqu'au 1er octobre.