Que doit-on espérer de la rencontre entre une écrivaine québécoise d'origine vietnamienne vivant à Montréal et un écrivain franco-suisse vivant à Ramallah, en Palestine? Rien de moins qu'un livre, évidemment. Le recueil À toi, de Kim Thuy et Pascal Janovjak, est le résultat d'un coup de foudre littéraire et amical qui n'a rien d'éphémère.

Ils ne se connaissaient pas, n'avaient rien lu l'un de l'autre. Ils étaient finalistes au prix Prince Pierre de Monaco en 2009. Elle pour son roman Ru, lui pour son roman L'invisible, tous deux à leurs premiers pas en littérature. C'est Kim Thuy qui la première a remarqué Pascal Janovjak. Elle voulait absolument lui parler. Savoir quelle histoire d'amour devait se cacher derrière la décision de cet écrivain franco-suisse d'aller s'installer à Ramallah, en Palestine. Elle l'a harcelé pendant deux jours avant qu'il accepte de déjeuner avec elle, juste avant que chacun prenne son avion pour d'autres destinations. Bref, Kim Thuy a quelque peu forcé ce coup de foudre amical et littéraire qui donne aujourd'hui À toi, le recueil de leur correspondance qui paraît chez Libre Expression.

Comment résister à Kim Thuy? Son enthousiasme, sa chaleur et sa joie de vivre sont contagieux. Pascal Janovjak en sait quelque chose: à peine sorti de l'avion et malgré le décalage horaire, il se dit happé par la tornade Kim, devenue son guide personnel à Montréal - il loge ainsi «chez l'habitant». «Ce qui m'a frappé chez elle, c'est sa sensibilité, se rappelle-t-il. L'impression d'un insecte avec de longues et très fines antennes qui captent la moindre chose.» Et cette drôle de «bibitte» éclate de rire sous le regard amusé de son ami.

«Il y avait de la fiction dans ses réponses par courriel, jamais de banalités, dit-elle. Et comme j'ai toujours l'impression de vivre dans un monde parallèle, j'ai trouvé qu'il venait me rejoindre dans mon monde.»

À toi n'est pas seulement un coup de foudre, c'est aussi un coup de tête de Kim Thuy. Ce projet de livre est né dès les débuts de leur correspondance.

«Je lui ai dit: «on le fait, et on va réfléchir après». Pour moi, c'était jouissif de faire ça, mais ma maison d'édition était inquiète. Mon éditeur avait les cheveux dressés sur la tête parce que je ne respectais pas les délais pour la suite de Ru en me lançant dans ce projet pour lequel je voulais aller jusqu'au bout. C'est quelque chose qui, comme pour Ru, m'enchantait, c'est tout.»

En effet, nous attendions la suite de Ru, mégasuccès littéraire comme il s'en fait peu au Québec. Depuis deux ans, ce premier roman autobiographique et poétique de Kim Thuy ne quitte pas les palmarès, en plus d'avoir remporté le Prix littéraire du Gouverneur général et, en France, le Grand Prix RTL-Lire. Pascal Janovjak ne savait pas qu'il correspondait avec une vedette du livre au Québec. D'ailleurs, pendant toute la durée de leur correspondance, ils ont refusé de lire leurs romans pour ne pas avoir d'idées préconçues. Ils se sont découverts en s'écrivant, finalement, attendant avec fébrilité leurs missives quotidiennes. Et c'est bien là qu'ils se rejoignent le plus tous les deux, dans ce regard sur la vie de tous les jours, les détails, les petites choses. Ce n'est pas une correspondance d'idées et de débats, mais de partage et d'amour amical. «C'est pour ça que c'est différent d'une correspondance courante, estime Pascal Janovjak. C'est presque un recueil de nouvelles, de récits courts ou de poèmes en prose. L'originalité est que ce sont des textes qui se répondent. C'est rare que des écrivains ont envie de faire ça.»

Pas de compétition de style entre les deux, donc. Kim Thuy se considère avec humilité comme quelqu'un toujours en apprentissage, et Pascal représentait pour elle un guide qui la poussait «vers le haut». «J'avais une confiance aveugle en lui, sachant que j'allais lui lancer la balle et qu'il allait me la renvoyer.»

Ils se ressemblent aussi parce qu'ils sont tous les deux des enfants d'exilés, un thème qui revient, sans pathos, dans leurs lettres. Les parents de Kim ont fui le Vietnam, le père de Pascal a fui la Slovaquie. Kim Thuy a fait sa vie au Québec, Pascal a travaillé un peu partout dans le monde avant que l'amour - eh oui! - le mène à Ramallah. Ils portent en eux l'esprit du nomadisme, sans avoir eu à faire les choix tragiques de leurs parents. «On n'aurait pas pu se rencontrer à Montréal ou à Ramallah, croit Pascal. C'est cette diversité identitaire et le voyage qui ont permis de nous rencontrer.»

Pour la petite histoire, ni l'un ni l'autre n'a remporté le prix Prince Pierre de Monaco. Et pour Kim Thuy, c'est tant mieux. «Si on avait gagné, on ne se serait pas rencontrés non plus! Mais selon moi, c'est moi qui ai remporté le grand prix et ce prix est Pascal.»

À toi de Kim Thuy et Pascal Janovjak. Libre Expression, 167 pages